Photo : Julie Artacho

Habiter le corps qu’on a!

Josée Panet-Raymond, L’Itinéraire, Montréal, 1er août 2018

J’ai souvenir d’être en voiture, arrêtée à un feu rouge, le regard captivé par une femme qui attendait l’autobus. Il se dégageait d’elle une grâce et une beauté qui forçaient l’admiration. « Wow ! Quelle belle femme », avais-je commenté à la personne qui m’accompagnait. La dame à l’allure racée, vêtue d’une jolie robe colorée qui flottait au vent avait un air fier et sensuel à faire tourner les têtes. Elle devait peser dans les 250 lbs.

Cette femme s’assumait. C’est ça qui la rendait si belle. En plus, elle était noire. On pouvait supposer alors que dans sa culture, les femmes corpulentes sont considérées comme plus attrayantes. Ce qui n’est pas nécessairement le cas en Amérique du Nord, voire un peu partout en Occident. Ici, le culte de la minceur et du corps « parfait » occupe encore beaucoup de place, bien que les mentalités commencent à changer tranquillement pas vite.

On voit de plus en plus de mannequins « taille plus » dans les magazines et de comédiennes « bien enveloppées » à la télé et au cinéma, jouer des rôles qui ne se rattachent pas à leur physique. Il était temps ! De la sorte, on offre un portrait pas mal plus fidèle de la société. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que les femmes – et les hommes – acceptent leurs corps et cessent de faire de l’obsession sur ce qu’on estime être le corps « normal ».

 

De rondes à anorexiques

Dans un passé pas si éloigné, soit jusqu’aux années 1920, les femmes aux formes généreuses étaient la norme ; symboles de prospérité, parce que bien nourries. Puis, les choses ont commencé à changer. La cure minceur s’est manifestée au cinéma, comme par exemple, dans les années 30, la filiforme Cendrillon de Walt Disney avec son irréelle taille de guêpe dictait inconsciemment – ou consciemment – ce qu’était le corps « idéal ». Les personnages plus gros, quant à eux, avaient des rôles risibles, voire détestables. Dans les décennies suivantes, c’est Barbie, aux proportions impossibles, qui montrera aux petites filles et à leurs mamans ce à quoi elles devraient ressembler.

Les plus de 50 ans se souviendront de l’androgynique mannequin Twiggy, une brindille à la moue sexy, mais au corps dépourvu de courbes, qui faisait la une de toutes les revues de mode dans les années 1967-68. C’est aussi à cette époque que l’anorexie connaîtra une recrudescence chez les adolescentes qui voulaient l’émuler.

Parallèlement, la mode des régimes explose, tout comme l’hyperculpabilisation du gain de poids. Et paradoxalement, le fast-food envahit la culture nord-américaine avec son sucre, ses calories dans le plafond et ses gras saturés qui font grimper la masse corporelle d’une bonne part de la population. On n’a jamais compté autant de personnes obèses, ni autant de grossophobes ! Les personnes grosses, dans l’oeil de la société, reflètent ses dérives et ses excès.

 

Manger ses émotions

Les experts se confondent en études et en théories pour expliquer la croissance du surpoids et de l’obésité dans notre société. Mais pas besoin d’être un scientifique pour pointer du doigt l’angoisse comme l’un des facteurs. Pour être capable de composer avec la vie, ses peines et ses misères, certaines personnes « mangent leurs émotions », au même titre que d’autres boivent ou se droguent. Et sur certaines, les kilos collent plus facilement que sur d’autres qui peuvent se permettre de manger abondamment sans prendre de poids.

En parlant de drogue, le sucre en est une par excellence. Pour ceux qui ont vu Super Size Me, de Morgan Spurlock sur la consommation excessive de malbouffe de chez McDonald’s, les quantités phénoménales de sucre qu’il a ingurgitées pendant le tournage de son documentaire l’ont mené aux portes de la cirrhose du foie et lui ont fait prendre 11 kilos en un seul mois. Son film dressait ainsi le portrait de l’obésité chez les Américains, devenue quasi épidémique.

Pour pallier aux dommages causés par la malbouffe et la sédentarité, la mode du work-out, de la bouffe santé, du végétarisme et du véganisme prend de l’essor. Et comme c’est souvent le cas, (l’humain est ainsi fait), on a tendance à verser dans les extrêmes. De la surconsommation alimentaire à l’anorexie, de la sédentarité au conditionnement physique intensif, il y a un juste milieu.

Celui où l’on s’accepte dans nos corps avec ses « poignées d’amour », bédaines, seins petits ou très gros, fesses maigrichonnes ou imposantes. Bref, s’assumer et habiter le corps qu’on a !