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Le partage des pourboires : Une solution pour les cuisiniers ou pour les patrons?

Marc-André Trudeau, Le Mouton NOIR, Rimouski, juillet-août 2018

Alors que débute la saison forte pour beaucoup de restaurateurs québécois, le débat autour de la rémunération des serveurs refait une fois de plus surface en raison des recommandations de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) sur le partage des pourboires. Rappelons que l’ARQ souhaite que ses membres restaurateurs puissent individuellement au sein de leur établissement mettre en place un système de partage des pourboires. De plus, l’association s’oppose à plusieurs propositions du projet de loi 176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, actuellement débattu à l’Assemblée nationale. Au nombre des « irritants réglementaires » identifiés par l’association, on trouve l’augmentation des jours de congé payé lors de la naissance d’un enfant ou de la mort d’un parent immédiat (lesquels passeraient d’un à deux jours), ainsi que la possibilité pour un employé de refuser de faire des heures supplémentaires s’il n’a pas été averti au moins cinq jours à l’avance.

Dans ce contexte, il est difficile de croire que l’ARQ a à cœur les intérêts des employés du secteur de la restauration. Bien qu’une meilleure rémunération soit nécessaire au recrutement et à la fidélisation du personnel (que l’on sait problématiques, surtout en région, en raison des conditions de travail difficiles et des salaires dérisoires), il est difficile de voir en l’idée de donner plein pouvoir à ses membres pour la répartition des pourboires autre chose qu’une façon d’améliorer le revenu des cuisiniers sans que les restaurateurs aient à en débourser le prix.

Je suis serveur et, comprenez-moi, je ne suis pas contre la vertu. Je ne pense pas, par ailleurs, que la forte majorité des serveurs le soit. Un certain partage des pourboires me semble aller de soi. Or, je ne pense pas qu’il soit souhaitable que la responsabilité en incombe aux restaurateurs. Comment leur accorder notre confiance quand on connaît les fâcheuses pratiques de l’industrie? Que penser, en effet, d’une industrie qui justifie le bas salaire versé aux jeunes cuisiniers (souvent le salaire minimum) en invoquant la « chance » qui leur est offerte de travailler pour une grande maison?

« Le partage des pourboires, c’est reconnaître l’importance du travail de tous les employés », écrivait l’ARQ dans sa lettre ouverte du 14 mai dernier. Soit. Mais la reconnaissance du travail des cuisiniers doit également passer par une rémunération adéquate, équitable et par l’amélioration des conditions de travail.

 

Trop de restaurants?

Au final, le problème auquel l’ARQ souhaite s’attaquer, celui du manque de main-d’œuvre en cuisine, ne serait-il pas causé par le trop grand nombre de restaurants? Après tout, Montréal est actuellement une des premières villes d’Amérique du Nord quant au nombre de restaurants par habitant. La situation est similaire en région, où les établissements abondent. Difficile pour la plupart de nos restaurateurs d’être rentables, de recruter et de retenir la main-d’œuvre quand le choix est aussi grand.

Aussi complexe soit-il, le problème ne date pas d’hier. Plutôt que de lutter activement contre l’amélioration des conditions de travail des employés du secteur de la restauration, peut-être est-il temps que l’industrie évolue de manière à offrir une rétribution concurrentielle vis-à-vis des autres métiers?