« C’est une expo mêlée de sculptures et de peintures qui se rejoignent… difficilement. C’est pas facile de faire le lien entre ma peinture “minimalisme expressif” pis ma création sculpturale réaliste, disons. » Voilà comment l’artiste Jeff Alarie m’a présenté sa première exposition dans la toute nouvelle Salle B à Rimouski, dont il assure aussi la direction artistique.
S’il confie s’être inquiété de désorienter les visiteurs en présentant des œuvres aussi déconnectées stylistiquement, Jeff s’est quand même fait plaisir avec cette exposition qui présente au public un pan moins connu de sa pratique : la peinture. Moins connu car mis de côté plusieurs années, au profit de la sculpture. Pendant tout ce temps, la manipulation de l’acier et du cuivre prenait toute la place, ce qui lui a permis d’atteindre des objectifs aussi précis que stimulants. Et puis, subrepticement, l’envie de peindre est revenue. Jeff nous présente ses retrouvailles.
Revenir à la peinture lui permet d’explorer une autre pulsion, car le processus de création est complètement différent, dès l’idéation. « La sculpture, c’est organique, c’est elle qui décide ce qu’elle devient », contrairement à l’agencement des formes et des couleurs sur le canevas, une entreprise plus délibérée… Ce qui ne veut pas dire moins spontanée : une énergie évidente transparaît dans les coups de pinceau qui étalent des couleurs très vives sur de grandes surfaces.
L’accessibilité, le caractère inoffensif des peintures concourent à donner un côté Dr Jekyll et M. Hyde à l’exposition. Le temps d’une visite, je suis ramené au fabuleux contraste esthétique d’Édouard aux mains d’argent. Burtonesque, oui, pourquoi pas? Les deux identités de l’artiste transparaissent dans un enchevêtrement particulier qui interloque… jusqu’à ce qu’on remarque du coin de l’œil cette femme qui fait refaire sa teinture, sur fond de beat RnB — rappelons que la salle d’exposition se situe au cœur d’un salon de coiffure.
Les créations en trois dimensions dominent, offrant un relief accidenté au sol comme sur les murs. Leur aspect sombre et leurs mensurations daliniennes évoquent la vulnérabilité des œuvres romantiques, une évocation que l’omniprésence des roses vient confirmer.
Pourquoi autant de roses? « Ce n’est pas autant la rose qu’une recherche de perfection en fait. Parce que les roses sont parfaites, si tu veux mon opinion. Je pourrais triper sur les orchidées, qui sont aussi parfaites. Mais c’est la rose. Et elle n’est pas encore parfaite, ma rose… » C’est un acharnement? « Oui. » C’est une obsession? « Comme bien des artistes sont obsédés. » Vu ainsi…
Et le directeur artistique, lui, que pense-t-il de cette première exposition dans son salon-galerie? Il s’avoue toujours sous le choc : au vernissage, la salle était pleine comme une ruche et la moitié des œuvres exposées ont trouvé preneur. « Des gens voulaient même deux fois la même œuvre! » Une manifestation d’intérêt insoupçonnée pour le projet hybride novateur qu’est la Salle B — et ce, même si les badauds hésitent encore régulièrement à passer le seuil quand les artisans capillaires sont à l’œuvre. « Il faut s’habituer au concept, concède Jeff, les week-ends sont évidemment plus propices. » Alors n’hésitez pas et entrez!