Ode aux bibliothèques publiques

Magali Boisvert, La Gazette de la Mauricie, Mauricie

Il était une fois une petite fille aux yeux chocolat immenses, qui, lorsqu’on l’amenait dans une bibliothèque, voyait dans les rangées de livres un potentiel de jeu et de joie aussi grand que celui des yo-yo pour les écoliers.ères de son âge. La première bibliothèque publique que l’intellectuelle en herbe visite, c’est la bibliothèque municipale de Saint-Élie-de-Caxton, là où des bénévoles du village s’affairent derrière un pupitre si imposant que la fillette peine à voir le visage de son enseignante du primaire, Charline, qui y travaille aussi comme bénévole à temps perdu. La mère de la jeune fille, qui l’accompagne dans les modestes rayons et l’aide à rencontrer des princesses illustrées qui lui chuchotent les secrets de la royauté ou encore des chats qui ont miraculeusement appris à parler la langue des hommes, se souvient l’avoir aidé à apprendre l’alphabet grâce à ces personnages livresques. Cet avide désir d’apprendre et ce besoin de lire, ils grandiront en elle en harmonie avec sa croissance physique (quoiqu’elle restera toujours haute comme trois dictionnaires).

Une fois le palier de l’éducation supérieure atteint, la jeune lectrice ouvre les portes de la bibliothèque de son Cégep, pour y découvrir bien plus que des livres; elle s’y réfugie pour être tranquille, pour écrire dans de nombreux carnets, elle arrose à petites gouttes ou par torrents les feuillus peuplant son cerveau. Elle s’émerveille de ce système ingénieux qui permet à tous.tes de partir avec une pile de livres, et ce, gratuitement, et peu importe le statut de la personne qui emprunte. Ce pied d’égalité face à la connaissance fascine l’étudiante qui, plus tard, aura un intérêt particulier pour les causes concernant l’égalité entre tous, peu importe le sexe, l’origine culturelle, la langue, la religion ou l’équipe de hockey favorite (et de toute manière, elle n’y connaît rien là-dessus).

Enfin, elle atteint le niveau ultime du jeu vidéo de l’éducation : l’université. À ce moment, elle fait la rencontre d’un beau grand gaillard aux cheveux argentés et aux pupilles vitreuses; elle tombe amoureuse de la bibliothèque Gatien-Lapointe. Commence alors une électrisante aventure qui ne durera pas qu’une nuit. La jeune fille devenue femme se laisse chanter la pomme par des recueils de poésie, passe des journées entières à caresser le dos des ouvrages, ramène après chaque visite une part de lui, une parcelle de ses histoires toutes plus fascinantes les unes que les autres.

Elle voit en compagnie de son compagnon des enfants dans la section jeunesse qui lui font penser à la vive gamine qu’elle était. Elle ne lit plus les mêmes choses que lorsqu’elle était dans son village, car cette bibliothèque lui permet de creuser un passage vers l’assouvissement de sa curiosité brûlante, sans se ruiner à acheter des livres comme le font la plupart de ses camarades universitaires. Elle fait la connaissance de Frida Kahlo l’artiste tourmentée, rencontre des personnages énigmatiques d’Agatha Christie et combat aux côtés des héros adolescents de la littérature jeunesse post-apocalyptique. Avec à sa disposition plus de livres qu’elle ne pourra jamais en dévorer, elle vécut heureuse et eut beaucoup d’emprunts.