Papier, encre et volupté

Pascal Lévesque, La Quête, Québec

Je m’en confesse, je suis un lecteur qui privilégie le papier. J’apprécie le livre en tant qu’objet, j’aime son odeur et j’aime cette sensation de tourner une page pour voir ce que me réserve la suite. Il s’agit d’un comportement plutôt nostalgique similaire à ceux qui privilégient le vinyle et le CD au MP3 et je ne suis ni le premier ni le dernier à l’affirmer.

Cependant, ce que j’apprécie le plus du format papier, c’est l’absence relative de distraction qui me permet de me concentrer davantage qu’en lisant sur mon téléphone intelligent ou ma tablette numérique. Il est rare que je me plonge dans un article avec un appareil numérique sans me faire déranger par des notifications Facebook ou des messages textos auxquels j’ai le réflexe d’aller jeter un œil. Quand je lis un livre, une revue, un journal, ou un magazine papier, je tâche d’éviter toutes sources de distraction.

C’est aussi la raison pour laquelle, à l’université, je devenais l’une des bibittes de plus en plus rares qui privilégiaient les notes manuscrites à la place de l’ordinateur portable. Je tends à croire que l’électronique nous rend hyperactifs. Se retrouver seul avec un livre, c’est souvent se retrouver seul avec un récit pour plonger ensuite pleinement dedans comme dans une mer de mots. J’apprécie d’autant plus le plaisir de lire un *vrai* livre dans un environnement dénué de dérangement. Le papier revêt pour moi une nécessité personnelle.

Je me suis promené récemment dans des librairies du Vieux-Québec où il m’arrive de dénicher certains trésors de lecture, notamment dans les bouquineries usagées. Les libraires que j’ai rencontrés m’ont indiqué que le commerce du livre papier ne se portait pas pour le mieux. Amazon et d’autres détaillants électroniques gagnent du terrain alors que les grandes librairies telles qu’Archambault et Renaud Bray se diversifient pour devenir tout simplement des gros joueurs du divertissement, rivalisant désormais avec les Costco et Walmart. On pourrait croire que tout cela n’augure rien de bon pour le livre papier, mais en vérité les dernières statistiques provenant de l’Institut de la statistique du Québec en 2014 ne chiffraient qu’à 7 millions de dollars les ventes de livres numériques sur un marché de plusieurs centaines de millions de dollars. C’est donc ici davantage les petits commerçants qui ont à craindre pour leur survie, plus que le format papier en lui-même. On remarquera aussi la popularité des grands rendez-vous tel le Salon du livre de Québec où des milliers de lecteurs viennent à la rencontre de leurs auteurs favoris et effectuent des découvertes littéraires. Il semble donc difficile d’être alarmiste actuellement, du moins, en ce qui concerne la vente du livre papier.

Si le format papier est en train de mourir à petit feu, la flamme se révèle bien minime notamment en matière de livre. Ce serait en réalité les habitudes des gens qui changeraient. Ce sont aussi ces mêmes habitudes en transformation qui expliqueraient cependant peut-être pourquoi la presse papier décline. Pourquoi acheter un magazine ou un journal quand on peut avoir un article qui nous intéresse à la pièce, et ce, gratuitement dans notre appareil électronique intelligent? C’est le raisonnement auquel plusieurs membres de mon entourage m’ont confronté, surtout des jeunes adultes. Je suis donc peut-être destiné à être cette créature de plus en plus rare qui lit son journal dans l’autobus, mais je suis sans doute encore loin, très loin d’être un spécimen anormal concernant le fait de lire en format papier.