Jean-Claude Landry, La Gazette de la Mauricie, Mauricie
Qu’une pièce de théâtre documentaire de trois heures fasse salle comble deux soirs d’affilés est déjà impressionnant. Qu’il faille ajouter une supplémentaire en 2019 pour répondre à la demande est à peine croyable ! C’est pourtant ce qui s’est produit les 1er et 2 mars derniers à la salle J.-Antonio Thompson avec la présentation de la pièce « J’aime Hydro ». Et Trois-Rivières ne fait pas exception : l’engouement pour cette pièce hors norme est généralisé.
Bien sûr, cela tient en partie à la performance exceptionnelle de Christine Beaulieu. Malgré le caractère peu sexy du thème abordé, elle réussit le tour de force de capter l’attention du public le temps que dure une séance de cours universitaire. Faut quand même le faire! Mais peut-on imaginer qu’une pièce intitulée « J’aime Amazon», « J’aime Loblaw» ou encore « J’aime Walmart» aurait suscité un tel intérêt? Comme le rappelle en introduction la comédienne mauricienne, il existe une relation particulière entre les Québécois et Hydro-Québec.
Pour plusieurs, cette relation tient sans doute à cette volonté affirmée d’être « Maîtres chez nous » que portait le projet audacieux et visionnaire de la nationalisation de l’électricité. Pour d’autres, elle peut tenir au potentiel formidable d’énergie verte que représente cette propriété collective alors qu’une transition énergétique s’impose en raison du réchauffement de la planète. Pour tous et toutes enfin, ou presque, elle tient à la facture d’électricité que nous acquittons mensuellement.
Bien plus qu’une pièce de Théâtre
On présente « J’aime Hydro » comme étant le résultat d’une démarche d’enquête citoyenne sur les origines de la société d’État et ce qu’elle est devenue au fil du temps. Une « conversation », dit-on, sur l’avenir de l’hydro-électricité et la pertinence des grands barrages, sans oublier une culture de gouvernance marquée par une grande opacité et le peu d’écoute à l’égard des citoyens.
« J’aime Hydro » c’est tout cela, mais beaucoup plus. Il y a là une réflexion sur notre capacité à mettre en œuvre de grands projets, structurants pour le Québec, et de taille à susciter l’enthousiasme collectif. À l’heure des changements climatiques, le Québec pourrait-il se donner le défi de devenir un leader mondial reconnu dans le domaine des énergies vertes et éco-responsables ? Hydro-Québec est toute désignée pour porter avec brio un tel projet de société. À condition toutefois d’y associer étroitement les Québécoises et les Québécois et de revoir en profondeur sa culture de gouvernance.
Voilà un défi qui nous changerait des sempiternelles rengaines (austérité, déficit, capacité de payer, lois du marché, PIB) que nous rabâchent à la fois ceux qui nous gouvernent et ceux qui s’obstinent à nous vendre des bonheurs d’occasion : achetez, consommez, faites-vous plaisir, distinguez-vous…
Merci, Christine Beaulieu, pour ces trois heures de cours d’économie politique rendu accessible par votre grand talent. Merci, Isabelle Soutard, d’avoir proposé à Christine Beaulieu cette idée géniale d’une « conversation » sur notre société d’État en nous rappelant qu’Hydro c’est beaucoup plus que des pylônes et des barrages. Votre pièce arrive à point nommé puisque nous serons appelés dans quelques mois à choisir celles et ceux qui dirigeront les destinées de la nation et qui auront, par le fait même, le pouvoir de déterminer les orientations, voire même l’avenir d’Hydro-Québec.
Dans un contexte politique et économique où les mots « dérèglementation » et « privatisation » l’emportent sur ceux de « bien commun » et « intérêt collectif », la vigilance est de mise. Notamment, à l’égard du maintien de l’intégralité de la propriété collective d’une société d’État lucrative qui, comme l’évoque la pièce, fait « saliver » certains milieux affairistes. Soyons aux aguets.