Nathalie Côté, Droit de Parole, Québec
Dans le documentaire Bras de fer en salle dès le 9 mars, Jonathan et Jean-Laurence Seaborn retracent la lutte menée par Véronique Lalande et Louis Duchesne qui ont mis au grand jour les problèmes de poussières de nickel à Limoilou dès 2012. Le documentaire qui suit leurs actions jusqu’en 2016 arrive à Québec avec l’aura du prix du jury du Festival international des films des droits de l’Homme de Paris obtenu en décembre dernier. Droit de parole a rencontré les artisans de cette œuvre sensible qui résonne dans l’actualité.
«On est confronté de plus en plus avec cette pollution industrielle. Le problème majeur, c’est que c’est souvent les pollueurs qui écrivent la loi». Le film commence et se termine avec cette citation de Richard Desjardins. Comment cette réflexion du chanteur abitibien s’est-t-elle retrouvée dans Bras de fer? Jonathan Seaborn explique que lorsqu’il était en plein montage et qu’il avait une centaine d’heures de matériel dans sa tête, il emprunte la voiture de sa mère, la sienne étant en panne :
«Il y avait un seul CD dans la voiture, c’est celui du spectacle de Desjardins au Club Soda en 1993. J’écoute ça, je conduis, à un moment donné j’entends Desjardins parler des pollueurs. Je me dis : il me semble que ça marcherait pour notre film… On lui a écrit un courriel et il nous a répondu oui, tout de suite!»
Est-ce que Desjardins est une source d’inspiration pour les deux cinéastes? Jean-Laurence Seaborn précise : «On ne fait pas du documentaire d’auteur. On n’est jamais devant la caméra. On fait vraiment du cinéma direct où on intervient le moins possible. On essaie de capter ce qui se passe. Mais d’un autre côté, oui, comme Richard Desjardins, on fait du cinéma engagé. »
«Pourquoi a-t-on ramené cette citation encore à la fin du film? C’est pour dire : ça fait tellement longtemps, au fond, qu’arrivent des affaires de même. Ce matin (le 6 mars) dans Le Devoir, où il y a un texte sur notre film, juste à côté il y a un article sur une minière qui poursuit une municipalité (Canada Carbon poursuit Grenville-sur-la-Rouge). Ça fait cent ans, cent-cinquante ans que c’est de même, à un moment-donné, il faut évoluer», s’indigne le cinéaste.
Arrêt sur image
Le film Bras de fer révèle la condescendance des élites, celle du Port de Québec, du maire, du ministre, qui nient tour à tour l’existence de la poussière de nickel, l’expertise des citoyens et le fait que le port puisse en être à la source. Au final, ils devront en convenir: ce sont bel bien les activités de transbordement de nickel de la compagnie Arrimage Saint-Laurent, sise dans le port, qui sont à l’origine de la pollution.
Le rythme du film est lent et la caméra se pose sur les visages des protagonistes. «À travers les regards, on réussi à partager mieux ce qu’on a vécu avec ce film quand il se passe une tension. Notre objectif, ce n’est pas juste de ramener des mots, mais aussi toutes les émotions» explique Jean-Laurence. «On fait beaucoup de petites pauses, parce qu’il y a beaucoup d’informations dans le film. Les pauses permettent d’absorber l’information» renchérit son frère.
«On veut que toi, qui écoute le film, tu participes. Que lorsqu’il y a un moment de silence, tu puisses réfléchir. On fait confiance au spectateur. Les gens vont le recevoir à leur façon », soutient Jean-Laurence.
Les choix esthétiques des frères Seaborn amènent une profondeur psychologique et on sent que les cinéastes ne portent pas de jugement sur les protagonistes. «Je le dis souvent, rappelle Jean-Laurence, on croit en la paix, on croit aux solutions pour régler les choses. On ne veut pas mettre de l’huile sur le feu. On est plus dans l’échange, pas dans la bataille».
Le film résume bien les années de lutte de Véronique Lalande, les rencontres avec les représentants du port, l’assemblée publique avec les citoyens, les réunions. On a accès au point de vue de l’intérieur, à leur organisation méthodique et patiente. Le film est sobre et évite tout sensationnalisme. Même la manifestation du 22 juin 2013 contre le nickel est rendue sans emphase.
«Ce que les médias ont montré, c’est une chose. À un moment donné dans le film, tu vois Véronique devant plusieurs journalistes. Ils ont tous le micro tendu vers elle. C’est ce qu’on a souhaité rendre» explique Jean-Laurence.
Éloge de la lutte citoyenne
Le film met en valeur le quotidien de Véronique Lalande. On la voit sortant de chez elle avec son jeune garçon, ou travaillant en soirée avec son chum. Leur engagement est constant et le sérieux de leur démarche convaincante; Louis Duchesne est scientifique et sa contribution a été fondamentale à cet égard.
Pour Jean-Laurence : «L’écart entre les leaders et les citoyens n’est plus ce qu’il était dans les années 1950. Les gens aujourd’hui sont éduqués. Le monde participe, le monde est engagé. Le monde est en évolution. On veut rendre hommage à ça et rendre ça contagieux. Au Festival international du film des droits de l’Homme de Paris, on présentait notre film comme un sonneur d’alarme. On s’attaque au vieux slogan : «On ne peut rien faire». Le gouvernement, c’est un gros bateau, il a de la misère à se revirer de bord. Tandis que nous autres…»
Le film révèle au public plusieurs moments jusqu’à ce jour inédits, malgré la grande couverture médiatique de la lutte menée par Véronique Lalande. Par exemple, lorsqu’elle va rencontrer les représentants du port de Québec et qu’elle demande en vain : «Si la situation n’est pas réglée en septembre prochain, seriez-vous prêt à mettre en jeu votre poste?»
Pour Jean-Laurence Seaborn: «Ces histoires-là, se sont des modèles. Le film est un hommage à Véronique et à Louis. C’est quand même majeur. C’est un film d’amour. Ils se sont tenus là-dedans!» Le film se termine sur le déménagement du couple qui décide de quitter la ville. Mais comme le dit Véronique Lalande : «Elle n’est plus une victime, parce qu’elle a lutté». Ils n’ont d’ailleurs pas totalement abonné le combat et ont initié deux recours collectifs contre la compagnie d’arrimage de Québec et l’administration du Port de Québec. Il est toujours possible pour les gens concernés d’en faire partie.
L’envers de la carte postale
Bras de fer, c’est aussi de très belles images de Québec, mais à l’opposé de celles des cartes postales. «On l’a montré comme on l’a senti», expliquent les cinéastes. «On a plus d’une cinquantaine de sorties de tournage. Le film est assez fidèle à ce qu’on a vécu. C’était un peu grisâtre. Mais ça ressemblait aussi à cette situation-là qui est un peu dans une zone grise, bizarre. Pourtant, on est dans la belle ville de Québec. Mais dernière la Bunge (les silos du Vieux-Port), il ne devrait pas y avoir ça.»
L’esthétique du film relève de l’approche particulière des frères Seaborn. «On a ramené du grain sur l’image, parce qu’on la trouvait trop propre. On appelle ça notre texture», précise Jean-Laurence. «Quand s’est réussi, c’est subtil. C’est notre signature, ce qui nous ressemble» renchérit Jonathan.
À l’origine du film
Le choix de ce sujet chaud s’est fait de manière presque naturelle, comme le rappelle Jean-Laurence.«J’ai rencontré Véronique dans le quartier quelques jours après le 27 octobre 2012, après le premier épisode de poussière rouge. J’étais sur la piste cyclable avec ma femme et mes enfants, une femme m’arrête et me donne un tract sur la poussière rouge. Elle me dit :«Je te connais, je suis allée au lancement de ton film!» (Pas de piquerie dans mon quartier sorti quelques mois plus tôt). Elle m’a donné son numéro de téléphone… À ce moment-là, je me suis dit: « Il faut suivre ça ». J’ai appelé Jonathan et je lui ai dit : « Charge les batteries; prépare les kodaks!»
Il poursuit :«Ce film-là, on ne l’a pas écrit : on l’a tourné. On a tout de suite tourné. Il s’est écrit au montage. C’est comme être en haut d’une piste de ski; le chemin se dévoile au fur et à mesure que tu descends. Le film documentaire, c’est pareil. On documente la vie humaine. Surtout avec des sujets comme ça qui évoluent avec l’actualité.» Jonathan appuie : «Le problème aurait pu aussi être réglé en deux semaines!»
Les projets à venir
Les frères Seaborn ont finalement obtenu le soutien de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour la réalisation du film qui fait actuellement le chemin des festivals. Il sera peut-être diffusé à la télé, s’ils parviennent à y présenter les 77 minutes que dure le documentaire. Les cinéastes cherchent d’autres financements pour leurs futurs films. «On travaille sur plusieurs projets, entre autres deux documentaires et un premier court-métrage de fiction. Sans nécessairement tout dire : on est en train de travailler là-d