Francine Gauthier, Le Pont de Palmarolle, Palmarolle
Il y a cent ans, tout commençait ici. Tout était à faire. La forêt à abattre, les chemins à tracer, une vie à inventer, une maison à construire, une famille à fonder…
En ces temps difficiles où le travail manquait désespérément dans les villes, il fallait trouver une solution au problème économique et à l’exil de centaines de Québécois. C’est pourquoi des régions comme la nôtre ont été ouvertes à la colonisation pour « faire de la terre » disions-nous.
Mais pour ouvrir des terres, il faut d’abord abattre la forêt. Et c’était là la vraie raison pour faire monter des colons « jusqu’à la hauteur des terres ». Les grandes compagnies forestières avaient besoin de main-d’oeuvre en abondance pour mettre en branle de grands projets d’exploitation forestière qui donneraient de l’emploi à ceux qui avaient le courage de franchir la distance qui les isolerait du reste du monde. Au départ, plus que la terre, c’est la forêt qui assurera un avenir à nos ancêtres. Pendant qu’ils affirmaient ici leur appartenance aux nouvelles terres qu’ils défrichaient eux-mêmes, le reste du monde progressait dans la modernité.
Oui, ouvrir une région à la colonisation, c’était consentir à une vie de sacrifices et d’abnégation, bénie par la religion et encouragée par les politiciens. Mais nous n’avons pas oublié que nous sommes une région aux ressources minières et forestières abondantes, matières premières qui sont convoitées et exploitées, aujourd’hui plus que jamais. Alors comment pouvons-nous accepter sans rien dire de nous voir amputer de sommes considérables à la culture? Recevons-nous vraiment notre juste part des retombées économiques lorsque le soutien à la culture dans nos régions nous est refusé? N’avons-nous pas besoin nous aussi de défendre ce droit inaliénable à notre culture?
Plus personne ne descend dans la rue pour revendiquer. À tout prendre, qu’est-ce que l’Abitibi? L’arrière-pays d’une époque révolue? Sans ceux qui nous ont précédés et qui ont préparé la place pour la suite du monde, comment aurions-nous pu prétendre pouvoir vivre dans ces belles campagnes abitibiennes? Nous appartenons à ce coin de pays qui nous anime quand nous retournons la terre, quand nous récoltons ses fruits. La culture, c’est l’identité, c’est ce qui nous définit en tant qu’humain dans un environnement précis sur cette terre. Il est tout naturel de voir le lien entre culture et agriculture.
Notre reconnaissance sur ce territoire de la notion de patrimoine date seulement d’hier. La Société d’histoire et du patrimoine de la région de La Sarre fut fondée en 2001. Il était temps. Cet éveil aux valeurs du passé ne fait pas légion. En effet, pour daigner nous retourner sur les décennies qui ont forgé notre identité afin d’avoir de la perspective, il faut tout de même que se soient inscrits dans le temps toutes sortes d’événements qui font écho dans nos souvenirs. Il faut pouvoir constater le chemin parcouru et les progrès accomplis.
Tout ce qui nous fut promis n’a pas vu sa réalisation, mais la transformation de notre environnement et de notre milieu culturel s’est pourtant produite. Notre région évolue, s’émancipe et possède des particularités à nulle autre pareilles. Nombre d’avantages nous favorisent à bien des égards, si bien qu’il arrive enfin qu’on choisisse de vivre ici. Les nouveaux arrivants encore peu nombreux contribuent à élargir nos horizons. Nous sommes nous aussi une terre d’accueil et notre culture identitaire prend forme. Cet héritage culturel tient lieu de patrimoine, celui qui prend tout son sens dans la célébration de ce que nous sommes et de ce que nous deviendrons, malgré les soustractions que nous subissons comme une nonreconnaissance de nos particularités, en tant qu’Abitibiens. Qu’à cela ne tienne, riche de notre histoire centenaire, allons de l’avant!