Mélanie Loisel, Le Trait d’Union du Nord, Fermont
À l’époque où je vivais à Fermont, j’entendais des histoires sur les autochtones dans le coin de Sept-Îles, Baie-Comeau et Schefferville. On ne les appelait pas les autochtones, encore moins les Premières Nations, mais bien les « Indiens » et si on voulait être poli, on les appelait les Montagnais et non, les Innus.
Pendant toute ma jeunesse, j’entendais donc ces histoires d’autochtones qui ralentissaient le train entre Sept-Îles et Labrador, qui se battaient avec les gars lors des tournois de hockey ou qui ne se présentaient pas à leur rendez-vous chez le dentiste même si ceux de Fermont s’étaient déplacés dans leur communauté. Je n’avais jamais entendu parler du pensionnat autochtone de Maliotenam où des centaines d’enfants innus s’y sont retrouvés de force pendant les années de construction des barrages de la Manic, des installations d’Alouette ou encore de celles du Mont-Wright.
Alors que la Côte-Nord était en train de prendre son élan économique, un génocide culturel était en train de se produire dans l’indifférence totale. Des familles entières d’Innus de la région ont été séparées. Leurs enfants ont été envoyés au pensionnat de Malio pour y être assimilés. Le gouvernement canadien avait instauré une politique pour carrément « tuer l’indien en eux. » Il y a quelques années, pendant le boom minier du Plan Nord, j’ai été à la rencontre de ces Innus alors qu’ils revendiquaient des redevances pour le projet de la Romaine et tous les autres projets miniers qui affectaient leurs terres. À plus de 30 ans, j’ai découvert pour la première fois tout un monde. Jamais je n’aurais pu m’imaginer ce qui se passait dans les communautés de Uashat Mak Mani-Utenam à côté de Sept-Îles, de Mingan, de Pessamit, de Betsiamites, d’Essapit, de Nutaskuan…
Derrière les épinettes le long de la 138, un peuple tentait de survivre et tente encore aujourd’hui de préserver sa langue, ses traditions, et ce, malgré les problèmes sociaux qui sévissent : violence, alcoolisme, suicide, dépendance… En mai dernier, une amie m’a raconté l’histoire de Marly Fontaine qui s’est fait tatouer son numéro de Bande sur son avant-bras gauche comme l’ont été les rescapés des camps nazis. Un geste qui m’est apparu provocateur, voire choquant sur le coup. La seule certitude que j’avais est qu’il devait bien y avoir une explication. Comment une jeune fille de 28 ans de ma région natale en était-elle venue à poser un tel geste ?
À plus d’une reprise, j’ai rencontré Marly pour qu’elle puisse me raconter sa réalité avec ses propres mots. Elle m’a expliqué sa vie dans la réserve de Uashat Mak Mani-Utenam où elle a été agressée à trois reprises avant de se mutiler, puis de se droguer. Elle m’a fait comprendre l’impact que les pensionnats ont eu sur son peuple et pourquoi, les autochtones ont encore peine à s’en sortir. Elle m’a ouvert les yeux sur ce qui s’est joué à quelques kilomètres de nous. Ma réserve dans ma chair est le récit de Marly Fontaine, mais il est aussi un grand cri du coeur pour nous forcer à nous arrêter et pour nous questionner sur cette cohabitation avec les peuples autochtones.
Comment allons-nous pouvoir nous affranchir de nos préjugés pour arriver à se réconcilier et éventuellement avancer côte à côte ? En tout cas, si Marly a réussi à changer mes vieilles perceptions, elle ne vous laissera pas indifférent et j’en suis convaincue, vous ne passerez plus sur la 138 sans y réfléchir après avoir lu son histoire.