André Chrétien, Le Pont de Palmarolle, Octobre 2017
Depuis le début de septembre, on ne cesse de nous bombarder de nouvelles traitant d’ouragans. Non contents d’en entendre parler, on en fait aussi état dans nos conversations quotidiennes : « C’est tu terrible ce qui se passe au Texas, en Floride… pauvres euxautres…»
Nous avons eu en Abitibi un été froid et pluvieux, jamais ou presque depuis mai n’avons-nous vu le soleil et senti sa chaleur, un temps de dépressions atmosphériques et de… dépressions nerveuses.
Malgré tout, les gens trouvent le moyen de répondre à nos critiques négatives sur notre climat en nous répondant : « Ouais, mais on est chanceux quand même, nous autres on n’a pas d’ouragans et d’inondations… » Quand j’entends cela, je me rappelle un fait de mon enfance. Permettez-moi de vous raconter une anecdote vécue le 23 juillet 1955 à Roquemaure.
C’était la semaine qui précédait la fête de sainte Anne et les paroissiens étaient conviés à des offices religieux tous les soirs, pendant neuf jours, avant le 26 juillet, jour de la fête de « grand-maman Anne » comme l’appelait sans doute l’enfant
Jésus. C’était la « neuvaine de sainte Anne ». L’office avait lieu à 19 h, il fallait donc pendant ces neuf jours se préparer de bonne heure, faire le train d’étable à 16 h 30 plutôt qu’à 17 h, comme à l’accoutumée, pour avoir le temps de souper avant de se rendre à l’église. Et à chaque fois le temps pressait.
Nous étions ce soir-là tous endimanchés, la Chevrolet 1950 « parquée » devant la porte nous attendait avec impatience pour le départ. Il ne nous restait plus que 15 minutes pour faire le trajet qui nous séparait du village. Tout le monde était nerveux, mon père, conducteur un peu trop prudent, ne dépassant jamais plus les trente milles à l’heure, il fallait donc monter à bord en attachant les derniers boutons de notre petit blazer bourgogne du dimanche. En mettant le pied dehors, nous aperçûmes un immense nuage noir au contour jaunâtre, duquel partait, comme un immense tuyau qui, à l’endroit où il rejoignait le sol, montait un mur de terre, de
poussière de végétaux et d’objets dont on ne pouvait distinguer la forme. Mon père nous dit sur un ton alarmiste : « C’est une tornade les enfants! Il faut nous cacher, descendez au fossé du chemin au bout de la « calvette » et couchez-vous dans le fond, c’est la seule façon de ne pas être emportés par le tourbillon ».
Mes deux frères et ma soeur s’exécutèrent aussitôt, moi j’hésitais et je disais : « Ben mon papa, je peux pas faire ça, je vas toute salir mon habit du dimanche. » Devant mon hésitation, papa leva une dernière fois les yeux vers l’ouest et me dit : « Attendons encore un peu, je pense que cela passera plus loin. » Après quelques secondes, en effet, la nuée noire pris la direction est et suivit la ligne du « fronteau » des terres, des lots, comme on les désignait. La catastrophe nous avait frôlés mais ne nous avait pas touchés. J’avais donc sauvé mon petit habit du dimanche d’un nettoyage obligatoire.
Le soir même, et le lendemain, toute la paroisse était en émoi. Chacun avait sa version des faits, les uns décrivaient les dégâts faits dans la forêt, les autres c’était les dommages faits à leurs champs d’avoine, certains racontaient comment la tornade était venue à bout de souches de gros trembles que même le bulldozer TD 18 Allis-Chalmers de monsieur Lacroix n’avait pas été capable de déraciner.
Finalement, monsieur le curé, de même que certains paroissiens, à la foi bien ancrée, déclarèrent que c’était grâce à la bonne sainte Anne si la tornade avait suivi cette trajectoire plutôt que de passer près et sur les bâtiments. C’était une récompense de sainte Anne aux paroissiens qui étaient déjà présents aux offices de sa neuvaine. N’étant pas là pour surveiller leurs biens, sainte Anne s’en était chargée…?