Bruno Laplante, Autour de l’île, Île d’Orléans, juin 2017
Travailler dix à onze heures par jour, six jours sur sept, cela vous irait ? Probablement pas, n’est-ce pas ? C’est pourtant l’horaire de travail moyen des travailleurs agricoles latinos. Et ils en redemandent ! Quand on lui a demandé s’il était content de sa dernière saison de travail, l’un d’eux a haussé les épaules d’un air dépité. Son employeur lui a alors demandé ce qui n’avait pas bien été. « On a eu un creux entre les fraises d’été et les fraises d’automne», répondit-il. C’était exact. Il y avait eu deux semaines où le travailleur n’avait fait que cinquante-deux, cinquante-trois heures de travail !
Pourtant, les travailleurs ne s’en plaignent pas, au contraire. Il faut dire que les conditions de travail au Mexique, par exemple, sont particulièrement difficiles. On y travaille soixante-dix, quatre-vingt heures par semaine, et ce, par des températures bouillantes. Pas étonnant que plusieurs travailleurs portent ici des cols roulés jusqu’en juillet et des pantalons d’hiver en septembre.
Chez eux, pour la plupart, les latinos sont aussi des travailleurs agricoles. Soit ils sont propriétaires de petites fermes de trois à douze acres, soit ils travaillent comme employés pour d’autres agriculteurs. Pour ce qui est des Mexicains, ils proviennent des régions les plus pauvres du Mexique : Veracruz, Michoacán ou la province de Mexico. On y cultive du café ou de la canne à sucre. Les récoltes, qui se font en hiver, ne sont pas mécanisées, d’où l’étonnement des travailleurs lorsqu’ils constatent, la première fois, qu’ici, même les bacs à ordures ménagères sont ramassés par des machines.
La journée commence tôt. À la période des fraises d’été, le travail débute à quatre heures et quart. Ils apportent leur lunch pour ne pas perdre de temps et mangent dans le champ en quinze minutes. Comme les fermes fonctionnent sept jours sur sept, il y a toujours une partie des employés en congé. Ils en profitent pour faire l’épicerie et se détendre un peu. Malgré l’intensité du travail, que l’on effectue beau temps mauvais temps (seuls les orages font suspendre le travail aux champs), il n’y a à peu près pas d’accidents. Au cours d’une saison, on ne déplore que quelques blessures légères n’occasionnant pas de perte de temps et des gastros. (Ironique, quand même, non ? Des travailleurs latinos qui contractent des gastros au Québec !) De toute façon, ils sont bien couverts par la CSST et ils ont une carte temporaire de la RAMQ. Ils n’ont cependant pas droit au chômage n’étant plus disponibles à l’emploi à la fin de leur contrat. Certains profitent même des congés parentaux.
De notre point de vue, il s’agit de conditions de travail épouvantables, mais pas pour eux. En voici une preuve objective : ils prennent du poids pendant leur séjour chez nous.