Des notes qu’on ne note plus

Simon Jacques, camelot métro Jarry, L’Itinéraire, Montréal, le 15 juin 2017

Ayant grandi à Montréal, j’utilise les transports en commun depuis environ 30 ans. D’aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu des musiciens dans les couloirs du métro. Un peu comme si avec le prix du billet venait une petite mélodie pour nous accompagner quelques pas. Des gens de tout âge, de différentes nationalités, aux styles combien nuancés les uns des autres, gagnent (plus ou moins bien) leur vie de cette façon. Beaucoup plus que quelques notes, la musique est une formidable plus-value sociale. Considérant que plusieurs pays découragent, voire interdisent les manifestations culturelles ou artistiques, nous sommes privilégiés d’avoir accès à la culture même dans le métro ! En sommes-nous conscients ?

 

Platon vs Mao

Dans La République, Platon voyait un aède (un poète ambulant) ou un musicien quasiment à chaque intersection. La culture, disait-il, apporte joie et sérénité en plus d’être esthétique ; un sens qui semble s’être perdu depuis quelques années. On fait juste ce qui est nécessaire : des maisons carrées, des hôpitaux rectangulaires, sans se soucier de la beauté. Allez voir les immeubles du Vieux-Montréal. Les gravures, gargouilles et autres ornements sont magnifiques. Si l’art est indispensable, c’est justement parce qu’il ne l’est pas. C’est ce qui est beau !

Dans la Chine maoïste (et certaines théocraties contemporaines) la musique est interdite sous prétexte qu’elle nuit à la productivité et peut véhiculer des messages non conformes. En y réfléchissant, je me rends compte que le « phénomène » a toujours existé ; des aèdes de la Grèce antique en passant par les troubadours médiévaux, les tziganes ou les mariachis, les musiciens de rue ont toujours été.

J’adore la musique ! Et, personnellement, je trouve que le métro semble mort quand il n’y a pas de musiciens. Dans la quotidienneté de nos allers-retours, leurs quelques notes nous transportent, nous font tantôt rire, tantôt pleurer, toujours sourire. Malheureusement, comme ça fait partie de nos us et coutumes, nous le prenons pour acquis et, dans une certaine mesure, perdons de l’intérêt. Quand quelque chose devient routinier, la magie s’efface…

 

Les étoiles et les autres

Dans le métro de Montréal, certains endroits particulièrement achalandés sont réservés aux Étoiles du métro. Une nomination obtenue après avoir réussi une audition. Bien que ces musiciens jouissent d’un maximum de visibilité, ils ne représentent qu’une infime partie de ceux qui sillonnent les couloirs. Les « autres », plus marginalisés, se partagent souvent de moins bonnes localisations et de moins bons horaires. Ces pages s’intéressent justement à eux. Honnêtement, en entreprenant cette chronique, je m’attendais à un sujet léger voir bonhomme. Mais la réalité découverte m’a beaucoup fait penser à la mienne : précarité, insécurité et indifférence ; des mots souvent utilisés. J’ai pu palper la détresse dans les yeux d’un musicien qui avait visiblement faim, au sens propre. Assis par terre dans les couloirs de la station Frontenac, un clavier entre les jambes, il était contrarié par la sècheresse de son chapeau. « Si Oscar Peterson passait ici, il me serrerait la main », m’a-t-il lancé. Ce pianiste a fait le conservatoire de Rimouski et fait de l’improvisation jazz. « C’est du Bach », me dit-il, en jouant quelques notes. Et poursuit quelques instants plus tard par : « Ça c’est de moi ». Ce qu’il jouait était magnifique. Soudain, la faim a pris toute la place : « Vous n’auriez pas un sandwich? Je veux un sandwich ! » Comment quelqu’un peut-il embellir la vie de milliers de personnes et crever de faim en même temps ?

 

Moi-même musicien du métro

Comme certains d’entre vous le savent déjà, je suis moi-même guitariste. J’ai travaillé comme chansonnier dans les bars et accompagné quelques chanteurs connus, à l’époque où j’habitais les Laurentides. Donc, quand les choses ont commencé à mal aller, il était tout naturel pour moi d’aller jouer de la musique dans le métro. J’ai tenté ma chance quelques fois, à différentes stations, à différentes heures et je n’ai jamais fait plus de 10 $. Malgré un répertoire que je qualifie de « super cool » et une technique correcte, il n’y avait rien à faire ! Les difficultés techniques : le bruit, l’emplacement des lyres, la sollicitation agressive environnante, etc., et surtout l’indifférence des gens ont pris le dessus sur les encouragements et sur ma volonté de jouer pour manger.

 

Donc, L’Itinéraire

Ce qui explique un peu pourquoi je vends des journaux. Je n’ai pas à me battre pour un spot ou pour une heure précise. Je n’ai pas besoin de trimballer une guitare, un amplificateur et un micro. Mais surtout, mon chiffre d’affaires n’a aucune comparaison. Vendre un produit déjà connu s’avère pour moi beaucoup plus facile que de devoir me démarquer, performer. Ce qui explique aussi tout le respect que j’ai pour les musiciens de rue, qui eux, réussissent à vivre de leur art. J’en ai d’ailleurs rencontré quelques-uns…