Changer de nid

Gabrielle Filteau, Le Trait d’Union, Saint-Bruno-de-Kamouraska, mai 2017

Le silence : raison pour laquelle de nombreux rats de ville quittent leurs nids urbains pour bâtir ou rénover des maisons du coin. On assiste bien, à St-Bruno, à l’arrivée d’une cohorte de citadins des quatre coins du Québec qui concrétisent, aux abords du village, leur rêve de vie champêtre, leur quête d’une meilleure qualité de vie en Nature et en communauté. Cet appel vers l’inconnu et la simplicité ne date pas d’hier, et ce besoin d’un espace vital plus sain en a poussé plus d’un à s’installer ici.

Dans sa fable Le Rat de ville et le Rat des champs, La Fontaine salue la tranquillité de la vie en campagne. En effet, on y lit entre les lignes une comparaison entre la vie effrénée de la Cité et celle d’une existence en retrait, là où pas même le bruit ne viendrait distraire un repas, là où la solitude tranquille est porteuse de richesses bien plus grandes que tous les trésors matériels. Le silence de la forêt est une thérapie en soi. Un refuge où l’on peut hiberner et renaître au printemps. Une terre que l’on peut chérir, cultiver, replanter. Un habitat à notre image et à protéger.

Les rivières se réveillent et sortent de leur lit, le soleil plombe sur les dernières neiges, et là-haut dans les nids duveteux, on entend la mélodie du printemps. Bientôt cette chorale retentira dans la forêt qui renaît, en cette saison fertile. Bientôt les semences germeront au jardin, et ce sera le temps de mettre sur pied tous les projets dont on a rêvé pendant la saison froide.

 

Notre premier poulailler

Une des premières choses dont on rêve lorsqu’on déménage en campagne, c’est de cueillir des cocos fraîchement pondus le matin en saluant des poules qu’on a nommées avec amour. Comme nous ne connaissions pas encore d’éleveurs locaux dans le Kamouraska, notre première couvée de pondeuses a été commandée à la Coop. Mes attentes n’étaient pas très hautes, mais j’ai tout de suite regretté ma décision lorsque je les ai vues sortir des cages, recouvertes de fientes, déplumées, apeurées et surtout… aux becs mutilés. Une d’entre elles avait une patte et une aile cassées : nous avons dû l’achever.

Au fil de l’été, nous leur avons trouvé d’autres nids en nous jurant de ne plus encourager ces élevages industriels qui produisent des poules de faible constitution, vaccinées et nourries de moulée aux ingrédients à vous donner la chair de poule. Les races communément produites par des couvoirs industriels sont certes d’excellentes pondeuses, mais elles sont agressives et peu résistantes au froid et à la maladie. Preuve que l’industrie de l’élevage au Québec privilégie souvent la productivité à toute autre qualité !

Entretemps, on nous a recommandé une éleveuse tout près, qui proposait toutes sortes de volailles et d’excellents conseils pour les éleveurs amateurs que nous étions, de sorte que notre basse-cour est maintenant constituée uniquement de races rustiques et croisées : Plymouth Rock Barrée, Chantecler, Ameraucana, Cochin, Olive Egger. Nous sommes allés au bord du fleuve repêcher du bois flotté pour leur construire des perchoirs, puis avons bâti une passerelle qui leur permet de passer du poulailler à l’enclos à leur guise et à l’abri des renards. Nos poussins ont grandi en santé et en beauté, nourris de grain biologique, de mauvaises herbes du jardin, de compost et d’eau fraîche, nous fournissant quotidiennement des œufs bruns, blancs et gris-vert d’un goût savoureux! La fable se termine bien.

Cette année, on envisage produire nos premiers poussins en croisant notre petite poule noire avec notre coq au plumage rayé et émeraude magnifique.

Finalement, cette riche expérience d’élever différentes races de poules nous a appris plusieurs leçons : il vaut mieux prendre le temps de bien faire les choses plutôt que de se hâter rien ne sert ce courir, disait La Fontaine, dénicher les races d’animaux qui sont plus adaptées à notre climat et trouver des fournisseurs locaux, soucieux de leurs bêtes, plutôt que d’opter pour la facilité de commander à un éleveur industriel. Les poules rustiques du Québec sont bien plus faciles d’approche, vigoureuses et résistantes aux saisons que les races de grandes pondeuses. Enfin, si on veut garder nos poules plusieurs années, mieux vaut privilégier celles dont la crête ne gèlera pas l’hiver, qui aiment manger de la neige et qui socialisent plutôt que s’entretuent à coups de bec.