Photo : Radio-Canada

Carricks, dans le sillage des Irlandais

Louis Poulin, Le Mouton NOIR, Rimouski, mai-juin 2017

En 1847, le Carricks, un navire en provenance d’Irlande, sombre au large de la Gaspésie. À son bord, on compte 167 passagers ainsi qu’un mystérieux violon Stradivarius, transmis de génération en génération dans la famille Kavanagh. 170 ans après la tragédie, le film de Viveka Melki propose d’aller à la rencontre de Charles Kavanagh, un descendant d’un couple de survivants du drame. Animé par une quête identitaire forte, Charles ira jusqu’à refaire en sens inverse sur un voilier et sans escale le trajet de ses ancêtres afin de « comprendre techniquement et mentalement » le voyage effectué par les migrants à une autre époque.

Lorsque des ossements sont découverts sur la plage de Cap-des-Rosiers, Charles Kavanagh mettra tout en œuvre pour identifier les corps et offrir une sépulture à ces naufragés possiblement membres de sa propre famille. Ce projet, qui redonne une dignité aux oubliés de la mer, fait également resurgir du passé un pan méconnu de l’histoire québécoise, soit que « 52 % des Québécois et plus largement 65 millions de Nord-Américains ont des origines irlandaises ». D’où venaient-ils? Quelles traces ont-ils laissées sur le Québec? Pourquoi ont-ils quitté leur pays? Ces questions fondamentales, Charles Kavanagh les pose avec beaucoup de respect et entêtement.

« On raconte l’histoire à l’anglaise, on oublie les peuples francophones. Le fait irlandais est méconnu, car il est difficile pour les autorités canadiennes de reconnaître que la Couronne britannique est responsable de la famine ayant sévi en Irlande. Le but de ce documentaire est de laisser une trace pour que ceux qui vont suivre n’oublient pas le passé. »

Pour transmettre le message de Charles et porter sa voix, il fallait un médium permettant d’élargir le projet. C’est pourquoi la rencontre entre lui et la réalisatrice Viveka Melki fut importante. « Je pouvais ressentir sa sincérité, elle avait une quête derrière elle, elle embarquait dans un projet. Elle s’est réseautée, elle a nourri le projet. Seul, par exemple, je n’aurais pas été capable d’aller faire faire des tests d’ADN dans des universités. » La complémentarité entre la réalisatrice et le descendant de survivants opère et Viveka met finement en lumière tout le travail effectué par Charles Kavanagh. Ce documentaire, véritable ode humaniste, agit sur différents types de lecture : il invite à réfléchir au mouvement migratoire de nos ancêtres, à penser à notre manière d’habiter le territoire et à discuter de notre capacité à accueillir l’étranger.

Car plus largement encore, cette tragédie de 1847 fait planer une ombre sur notre époque : impossible en effet de ne pas faire un rapprochement avec l’actualité quand on sait que plus de cinq mille migrants ont péri en 2016 dans les eaux de la Méditerranée.

Carricks est un documentaire intelligent qui invite à réfléchir à la complexité et à la richesse de nos origines, de notre propre condition et de notre avenir.