Sylvie Prévost, Le Journal des citoyens, Prévost, le 20 avril 2017
Quand on vient de Cap-Chat ou de Contrecœur, il faut bien que la passion se soit mêlée à certains tours du destin pour qu’on soit « adoubé » maître en shakuhachi, cette flûte japonaise. Au bout de plus de vingt ans d’étude auprès de différents maîtres, Bruno Deschênes et Michel Dubeau ont obtenu l’honneur et le droit de s’appeler désormais Bruno Chikushin Deschênes et Michel Zenchiku Dubeau. Comment en sont-ils venus là?
Bruno Chikushin Deschênes et Michel Zenchiku Dubeau
Après une maîtrise en composition musicale, Deschênes a gravité dans le monde de la musique comme accompagnateur, arrangeur, critique… Il épouse une Japonaise et de fil en aiguille, découvre la musique de ce pays, son système de notation et finalement le shakuhachi. C’est vers 1995 qu’il ne peut s’empêcher de l’étudier, malgré les difficultés logistiques. « J’ai eu l’impression d’avoir enfin trouvé ce qui correspondait à mon âme », confie-t-il. Il a connu plusieurs maîtres, à Montréal, à New-York, à Vancouver et participe aussi souvent que possible aux festivals de shakuhachi organisés à travers le monde depuis 1992. Sa nature assez intellectuelle le porte vers l’écriture et il vient tout récemment de publier Le shakuhachi japonais, une tradition réinventée.
Dubeau, bien connu à Prévost, est saxophoniste de formation et fasciné par tous les instruments à vent, comme nous le savons. Vers 1988, il a le coup de foudre pour un shakuhachi entendu sur un enregistrement. Il étudiera d’abord à Montréal, puis, en même temps que Deschênes, avec différents maîtres à New-York et à Vancouver. Curieux de nature, aimant l’exploration, il est très tenté par l’application du jeu de shakuhachi aux autres instruments qu’il maîtrise ainsi que par le métissage des genres.
Maintenant, Deschênes et Dubeau enseignent le shakuhachi et jouent en concert. Ils ont d’ailleurs fondé l’Ensemble Matsu Také, déjà venu chez Diffusions Amal’Gamme il y a quelques années. Tous deux trouvent dans la pratique de leur instrument ce que les anciens moines y voyaient aussi : un outil spirituel, une forme de méditation qui ouvre l’esprit. Cet art paraît avoir des points communs avec la calligraphie ou le tir à l’arc traditionnels japonais : la nécessité d’une concentration extrême, la pleine appréhension de la réalité et le lâcher-prise dans l’exécution. Ce dernier point est important dans l’enseignement. « Ça enlève un gros poids des épaules des étudiants », explique Dubeau. « Par contre, la régularité est essentielle. »
Dubeau et Deschênes ont fait en 2015 un périple marquant au Japon. Ce voyage, comportant de nombreux concerts et un circuit de temples, de palais et de sites naturels, a connu son apogée dans la visite d’une bambouseraie où ils coupent eux-mêmes les bambous dont ils feront des instruments en 2016. C’est à Vancouver, au cours du concert clôturant cette aventure, qu’ils reçoivent leur titre de maître en shakuhachi et leur nom d’artiste. Dubeau, qui portait le nom de Rakumon alors qu’il était assistant-maître, devient Zenchiku (Bambou méditatif), et Deschênes, Chikuchin (Bambou sincère, tenace). Cette distinction, tout à fait inattendue et reçue avec autant d’émotion que d’humilité, couronne 20 ans de travail et d’ouverture à un monde musical très différent du nôtre.