Archambault, le sage au regard incisif

René Lord, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, mars 2017

Oubliez le sage euphorique et béat. À 83 ans, Gilles Archambault continue de porter sur le monde un regard acéré, lucide et dépourvu de complaisance. Et il nous livre ses observations dans une langue élégante et sensible qui comporte toujours un sourire en coin. La nouvelle est son genre de prédilection : des textes courts, économes de mots, qui vont à l’essentiel. Son dernier recueil, Combien de temps encore ?, s’inscrit dans cette manière. Il traduit une volonté de disséquer la vie sans relâcher son exigence d’authenticité.

Gilles Archambault nous livre Combien de temps encore ?, son dernier recueil comprenant 24 nouvelles sur les rapports humains.

Écrivain prolifique, homme de radio respecté et invité d’honneur du Salon du livre de Trois-Rivières, Archambault poursuit son œuvre avec une constance qui force l’admiration. Son dernier ouvrage s’ajoute à ses 18 romans, deux récits et cinq recueils de chroniques. Qui ne se rappelle ses suaves billets d’humeur qu’il servait le matin à l’émission de Joël Le Bigot ? Ou encore ses judicieux commentaires sur le jazz ?

Tout au long des 24 nouvelles de ce récent opus, qui tiennent chacune en deux à cinq pages, l’auteur nous parle des rapports humains par le biais des souvenirs embellis mais aussi des regrets. Il est question de la fin prochaine, mais il la traite sans drame, avec un réalisme et une amertume teintés d’un peu de fatalisme et d’une certaine désinvolture : « Combien d’années encore ? Mais est-ce si important, dites ? », « Je suis d’un autre temps. » Cette fin, la sienne, il la combat en évoquant les joies simples d’une promenade, d’une rencontre, d’une conversation, avec une ancienne flamme notamment.

Puisque le narrateur souvent se déprécie, se trouve terne et veule, les hommes qu’il évoque, des amis, des collègues, des rivaux, sont toujours séduisants; le succès leur sourit tant auprès des femmes que dans leur vie professionnelle. Les femmes, elles, sont toujours fascinantes, toutes les femmes, autant l’amante, l’épouse, la mère, la fille que la petite-fille. « Vous tenterez de me persuader que cette beauté-là soit mortelle », dit le grand-père émerveillé. Toujours lorsqu’il évoque les femmes, l’auteur semble avoir l’œil brillant !

Et l’écriture. Elle vaut à elle seule le détour. Du travail d’orfèvre ! L’usage habile de l’inversion, de l’interrogation et du style indirect témoigne d’une maîtrise hors du commun. Les portraits sont peints par petites touches révélatrices : «Très fier de ses origines bourgeoises, il pouvait être d’une complète arrogance ou, à l’inverse, le plus charmant des hommes. » Et que dire de ces tournures quelque peu surannées, mais si élégantes! « C’est pourtant lui qui, à l’époque, vitupérait l’éducation des clercs. » « Pour peu il en serait déçu. » « Pour l’heure, il cherche une façon de se libérer. » « Il a pu voir pleurer cette femme sans en être autrement ému. » « Je faisais mon miel de déclaration de cet ordre. » Et on y trouve souvent des perles, par exemple : « Son corps, je le connaissais à peine, j’apprenais peu à peu à le faire chanter. » Voilà un style qui se perd, mais qui, peut-être pour cette raison, recèle tant de charme ! En somme, un livre qui se déguste lentement, comme (et avec) un bon vin.