Photo : Courtoisie studio de tatouage L'Art Oblic / Chloée Jabour

De la prison au salon

Cécila Foissard, La Quête, Québec, février 2017

Le tatouage a connu une véritable expansion au Québec, ces dernières années. Art en constant développement, cette popularité fulgurante est le fruit d’une volonté de faire de son corps une œuvre d’art. En entrevue à La Quête, Yannick Lepage, fondateur du magazine Tattoo Québec, a démystifié cet art millénaire, en revenant sur ses racines et sa philosophie.

Les Québécois ont de plus en plus recours à cet art corporel, pour diverses raisons, qu’elles soient familiales, esthétiques ou encore pour montrer son appartenance à un groupe. Cet art a su évoluer avec le temps, les significations ont changé, mais le principe est le même : garder une trace sur la peau.

 

Un rituel

Cet art dédié à la modification corporelle a porté différentes significations au cours de son histoire qui remonte au troisième millénaire avant J.-C. « Si on regarde d’un point de vue historique, le tatouage était associé à une sorte de rituel », explique Yannick Lepage. À titre d’exemple, cet art est très lié à la culture maorie, une population polynésienne, originaire de Nouvelle-Zélande. L’étymologie de « tatouage » vient d’ailleurs du mot tahitien « tatau » qui signifie « marquer».

Synonyme de rite de passage, il a été souvent associé aux gangs de rue, aux motards et aux Yakuzas, mafiosos japonais, a mentionné le créateur de Tattoo Québec. « Le tatouage avait une représentation liée à un groupe », mentionne-t-il.

Le tatouage a longtemps eu un côté transgressif et marginal. Représentatif des prisonniers ou autres brigands, il a longtemps été mal perçu. Peu répandu, il a même été synonyme de rébellion. « Au départ, il y avait une marginalisation, mais c’était aussi une affirmation de soi », affirme Yannick Lepage.

 

De la transgression à la généralisation 

Comment le tatouage est-il passé de la marginalisation à une démocratisation rapide ? À ce questionnement, le rédacteur de Tattoo Québec explique qu’outre le côté esthétique, devenu une des motivations premières du passage à l’acte, il faut comprendre le tatouage comme une forme d’art à part entière. L’artiste est le maître du jeu, de la création à la conception du motif final. « Le tatoueur a la possibilité de changer ce que le tatouage veut dire dans sa portée », explique monsieur Lepage.

La différence majeure entre la marginalisation et la démocratisation de cette modification corporelle est liée au côté plus « personnel » de la signification du tatouage tandis que les membres de gangs de rue étaient tatoués pour signifier leur appartenance à une entité quelconque. « Cette image personnelle, cette image de marque est plus développée. Il y a un désir de passer un message qu’il soit esthétique ou d’appropriation», soutient le fondateur de Tattoo Québec.

Yannick Lepage considère que le tatouage n’est pas en train de devenir un objet de consommation de masse. Selon lui, c’est juste un art en constante évolution. « C’est un art qui devient plus abordable […]. Lemessage qui est véhiculé n’est plus d’aussi grande valeur. Mais on pourrait s’interroger pour la même chose sur la littérature, la peinture. On a des artistes peintres qui sont engagés, on a des littéraires qui sont engagés aussi, et on a des tatoueurs qui sont engagés », justifie-t-il.

 

Mode éphémère ou acte spirituel ?

Le fondateur de la revue dédiée au tatouage est conscient de l’émergence et de la croissance rapide du phénomène « tatouage ». « Le tatouage a de beaux jours devant lui », a-t-il expliqué en ce sens. En dépit de ce constat, Yannick Lepage est aussi conscient des possibles dérives. Avec la démocratisation rapide de cet art, il craint néanmoins l’affaiblissement, voire la perte du caractère spirituel. « Ce que je souhaite, c’est que la raison pour laquelle les gens se font tatouer devienne un peu plus spirituelle».

Selon M. Lepage, le côté plus transcendant du tatouage est cultivé par un « bon tatoueur ». « Il va conserver la valeur sacrée du geste, va chercher un lien, une relation avec la personne. Si elle lui fait une demande et qu’il trouve que ça n’a pas d’allure, il va la refuser […]. C’est l’artiste qui a le dernier mot avant le choix ». Le fondateur de Tattoo Québec est convaincu de l’existence de la dimension anthropologique du tatouage. Une personne désireuse de se faire tatouer a un projet en tête et le tatoueur doit être en mesure de faire son interprétation avant de poser le geste. « Si on lit juste le tatouage, on manque une partie du message ».

La clé de la compréhension d’un tatouage est de chercher quel est son essence, son histoire, son message, selon le créateur de Tattoo Québec. Il cite à titre d’exemple une rencontre avec une personne dépendante aux drogues, faite lors de la réalisation d’un Vox Pop. « Lorsqu’il sentait le besoin d’avoir sa dose, il allait se faire tatouer. Le tatouage représentait l’emprise que la drogue pouvait avoir sur lui. J’ai eu un frisson quand il m’a dit ça. J’ai perdu ma naïveté », conclut-il.