Photo : Bélinda Dufour

L’impossible portrait

Lyne Boulet, Le Sentier, Saint-Hippolyte, février 2017

« Mon exposition représente l’impossibilité de l’autoportrait, affirme Marie-Pier Leclerc. (1) Un être humain est vivant. Alors qu’une image n’est qu’un instant figé qui dénature l’éphémère ». Il s’agit de l’argument de cette série de tableaux intitulée Slippery Echoes/Réverbération présentée à la salle multifonctionnelle de la bibliothèque jusqu’au 22 février.

L’exposition présente six grandes toiles aux titres révélateurs et un texte apposé sur un miroir. « Le texte fait partie intégrante de la série. Il est là pour permettre aux gens de comprendre ma démarche. Le miroir, c’est le dédoublement, un tête-à-tête avec moi-même ».

 

Invitation

Submergée est la seule peinture où l’artiste se représente les yeux ouverts. L’eau s’y fait discrète. Elle contourne le nez et les yeux et s’arrête au-dessus de la lèvre supérieure. C’est une porte d’entrée, l’invitation de l’artiste à la rejoindre dans sa réfutation. Dans les autres tableaux, le contact avec le regardant est volontairement coupé. Puisque Marie-Pier ne peut pas se représenter, l’observateur ne peut pas communiquer avec elle par ses « falso-portraits ». (2)

 

L’encyclie ou des ronds dans l’eau

« Combiner mon portrait et l’eau, toujours en mouvement, me semblait une combinaison idéale pour ma proposition ». Et, effectivement, l’eau envahit les tableaux pour confirmer, en grands cercles concentriques, l’invraisemblance de l’autoportrait. Elle fait disparaître les détails du visage, ne laissant que des contours flous. Les portraits ondoient, se déforment, se démultiplient jusqu’à en perdre leur semblant de réalité.

Marie-Pier Leclerc explique qu’elle a travaillé ses toiles en duos même si elle ne les présente pas en diptyques. Réfraction découle de Réverbération.Diffusion se développe en Polarité et Pulsation glisse vers Vibration brisée (toile non exposée). (3) Elle démontre ainsi que le « falso-portrait » (2) lui-même ne peut être immobilisé. La création l’amène ailleurs. Une variation séquentielle est créée. Et on peut facilement s’imaginer ces altérations se perpétuer à l’infini. Et voilà. Marie-Pier a doublement réussi sa démonstration de l’impermanence, la première physique et la seconde artistique.

 

L’encadrement

Marie-Pier présente ses toiles dans des encadrements de tilleul confectionnés par Marcel Leclerc, son père. Ce sont des œuvres en soi. Les cadres ne sont pas fabriqués en formes géométriques conventionnelles. Les ovales, les cercles et les carrés ondulent pour épouser les tableaux. Ils habillent les peintures avec personnalité. Le tableau Réverbération est habilement monté sur plexiglas pour que le cadre répercute les cercles concentriques sans se fermer sur la toile.

 

Une installation

« Lors d’une exposition antérieure, raconte Marie-Pier, un visiteur est entré dans la salle, a lu le texte sur le miroir, mais il n’a pas regardé les toiles. Il m’a dit en quittant la pièce: c’est très beau ce que vous avez écrit ».

La série Slippery Echoes/Réverbération de Marie-Pier Leclerc n’est, de fait, pas qu’une œuvre picturale. Elle contient une installation : un miroir qui livre un message transcendant, une toile de Marie-Pier qui s’y reflète et une image de soi qu’on peut y découvrir. L’artiste nous invite nous aussi à un tête-à-tête avec cette froide réflexion qu’on aperçoit dans la glace… Peut-on vraiment s’y reconnaître?

(1) http://mariepierleclerc.ca

(2) falso-portrait : Néologisme pour rendre l’idée de l’artiste qu’un autoportrait ne peut qu’être faux

(3) Vibration brisée a été acquis par la Municipalité de Blainville pour son Centre récréoaquatique.