Philippe Marquis, L’Indice bohémien, Rouyn-Noranda, novembre 2016
Combien vaut une heure sans soucis ? Rien d’énervant, aucun stress ; juste ramasser les feuilles dans la cour. De la même manière, faire son bois en prenant le temps d’écouter le claquement des bûches qui fendent sous la hache qui vient de fendre l’air. Comment ça mérite, prendre 60 minutes tranquilles pour monter une corde ?
Débuter, à son rythme, le ménage du garage, du sous-sol, de la remise, de la cuisine ou de la chambre. Mettre de l’ordre dans ses vieux papiers ou ses arrière-pensées sans se presser. Amorcer ces travaux tranquillement en appréciant l’ordre qui s’installe dans sa tête. La bourse de Toronto coterait cela à combien, une bonne heure d’ordre intérieur ?
Jouer avec un enfant sans se soucier de la suite, ça pourrait se vendre à quel prix ? Essayez de mettre un chiffre ! Un silence profond, comme une respiration, sans urgence, un silence de 3600 secondes. Les enchères partent à quel montant pour lui ? Un arrêt technique : plus de tablette, de téléphone, de radio, de télévision, d’ordinateur, plus rien qui fonctionne sauf vos pensées qui s’évadent enfin pour une heure, juste pour une heure… Fermer les appareils et s’ouvrir ! Il vaut quoi, ce temps, sur le marché des obligations ?
Écouter la pluie, les feuilles, la neige tomber pendant une heure, les yeux fermés sans s’exciter, comment cela vaut au change ?
Voilà des questions tordues, n’est-ce pas ? Tout cela : sentir la vie qui respire, s’ébat et foisonne, tout cela n’a pas de prix. Mais qui peut s’offrir toutes ces douceurs ? Ça demande la paix et peu de tracas pour prendre le temps de le prendre. Puis, cela s’entend : on ne peut donner une valeur chiffrée à ce qui ne se monnaye pas.
Et le temps de travail, celui qui se monnaye, combien vaut-il ? Combien vaut une heure passée derrière un comptoir à servir les clients ? L’heure à faire le ménage des chambres de l’hôtel ? Le salaire minimum, vous me direz ! Le salaire très minimum, je répondrai !
Imaginez, avec un tel revenu (10,75 $/heure), une personne n’arrive pas à vivre au-dessus du seuil de faible revenu (environ 21 400 $/an). Il y a des tas de gens, dans la région, qui travaillent 35 heures par semaine et doivent demander l’aide des comptoirs alimentaires pour finir les mois. Aux États-Unis, on les appelle working poors car ils sont pauvres malgré le fait de travailler.
Alors, un salaire minimum qui donnerait le temps de respirer, de se faire moins de soucis, n’est-ce pas le minimum pour qui que ce soit ? On parle de 15 $ de l’heure comme c’est là. « Mais c’est de la folie, c’est très mauvais pour l’économie ! » répondront les conservateurs.
Parce que faire l’épargne du stress, de la pauvreté et du mauvais partage des richesses ne serait pas bon pour l’économie ? N’y a-t-il pas lieu, alors, de s’interroger sur la valeur d’un système injuste qui achète le temps, les gènes et les esprits ?
C’est la question que je pose. Mais, c’est bien entendu qu’elle vaut ce qu’elle vaut…