Alain Dumas, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, novembre 2016
Depuis la montée en puissance des Uber et Airbnb de ce monde, certains parlent de l’émergence d’une économie du partage, d’autres d’une économie collaborative. Mais quand on parle d’économie collaborative, s’agit-il vraiment d’économie du partage? Qu’en est-il au juste?
À première vue, l’économie du partage et l’économie collaborative semblent désigner la même chose. Si les deux modèles favorisent le partage en réseau de produits ou services, de lieux physiques ou d’équipements, il en est tout autrement quant au partage des revenus et des profits tirés des activités de partage.
Dans une économie du partage, les pratiques sont nécessairement fondées sur le partage, le troc, la solidarité ou l’entraide. Elles permettent donc de réduire notre consommation. Qui dit économie du partage, dit aussi une économie fondée sur le partage des revenus générés par la production de produits et services en commun. L’économie du partage ne peut donc pas rimer avec la concentration des revenus ou des profits entre les mains d’un petit groupe.
En cela, l’économie du partage existe depuis longtemps sous forme notamment d’une économie sociale et solidaire composée d’entreprises coopératives et d’organismes à but non lucratif (OBNL), qui ont été créés pour répondre aux besoins de leurs membres en misant sur une structure démocratique, une juste répartition des revenus et l’utilisation des surplus pour améliorer les biens et services partagés.
Alors, pourquoi parle-t-on d’économie collaborative aujourd’hui?
Tout d’abord, parce que certains services partagés ont connu une croissance fulgurante au cours des dernières années, grâce à l’utilisation de plates-formes Internet qui mettent en relation des millions de personnes. Et si cette croissance fut rapide, c’est parce que certains de ces services partagés sont sous la tutelle de grandes entreprises multinationales comme Airbnb ou Uber, dont la visée économique diffère de celle des entreprises de partage classiques comme CouchSurfing (hébergement gratuit de passage). En effet, une partie des revenus générés par la chambre louée via Airbnb ou l’auto partagée via Uber va aux multinationales qui ont créé la plate-forme Internet, alors que le coût d’un transport en covoiturage est partagé de manière équitable entre le propriétaire du véhicule et ses passagers.
De plus, si les entreprises d’économie collaborative n’assurent pas un partage équitable des profits ou revenus, c’est parce qu’elles s’apparentent à des entreprises privées financiarisées dont l’objectif est de maximiser la valeur des actions en bourse, comme l’illustre le cas d’Uber dont la valeur des actions atteint 50 milliards$ après une entrée en bourse à 8 milliards$. Enfin, ce type d’entreprises est à des années-lumière de la plus grande innovation de partage de nos sociétés démocratiques, soit celle de payer des impôts (selon son chiffre d’affaires) afin de permettre le plus grand partage de services comme la santé et l’éducation, appelés services publics.
Des exemples d’économie du partage
Les exemples d’économie réelle du partage ne manquent pas. Les Accorderies, qui sont des organismes d’échange de services, en sont un bel exemple. L’Accorderie de Trois-Rivières met en relation des centaines de membres selon une formule d’échange de services sans échange monétaire. On retrouve également l’organisme Nousrire dont la mission consiste à rendre accessibles des aliments biologiques, tout en faisant des économies. Nousrire de Trois-Rivières est actif sur Facebook et compte plus de 400 membres.
Indépendamment des modèles d’économie du partage, notre façon de consommer et de produire est en train de changer profondément. Selon PricewaterhouseCoopers (PwC), l’économie collaborative (dans son assertion la plus large) devrait atteindre près de 335 milliards de dollars au niveau mondial d’ici à 2025, contre 15 milliards aujourd’hui. Dans une économie où à peu près seuls les 1 % les plus nantis s’enrichissent, et dans laquelle les écosystèmes sont menacés, les nouvelles expérimentations sociales de production et consommation qui favorisent le vrai partage et la réduction de notre empreinte écologique ne peuvent qu’être saluées! Reste à nous garder le contrôle démocratique de l’économie du partage.