Dominique Gobeil, La Vie d’ici, Shipshaw, novembre 2016
Durant les trois dernières décennies, la proportion des jeunes adultes vivant encore avec leurs parents a presque doublé, atteignant près d’une personne sur quatre au Canada. Force m’est d’admettre que je fais maintenant partie d’une tendance statistique.
En effet, selon un récent rapport de Statistique Canada sur le recensement de la population, environ 42 % des individus de 20 à 29 ans occupaient toujours le nid familial en 2011, comparativement à 27 % en 1981. On parle quand même d’une hausse de 15 %, c’est assez considérable. Chez les 25-29 ans, c’est encore plus impressionnant, la proportion est passée de 11 à 25 %. Il y a plus de gars que de filles dans cette situation par contre. Je ne suis pas l’illustration parfaite du phénomène on dirait. Même que c’est plus courant chez les immigrants aussi, question de culture.
À 20 ans, c’est normal d’habiter la résidence familiale quand on poursuit ses études. À moins d’être comme la moitié de mes amis et de suivre un programme à l’extérieur de la région. Dur de situer la normalité. Encore plus si on étudie seulement à temps partiel et qu’on gagne un bon salaire le reste du temps…
Je l’avoue, je me remets parfois en question. Ne devrais-je pas voler de mes propres ailes? Qu’est-ce qui m’oblige à supporter les querelles pour le ménage, au lieu de gérer l’entretien de mon appartement comme je le désire et de faire à manger pour mon seul estomac quand ça me chante ? Si les autres le font, je devrais en être capable, non ?
J’admets que même si j’ai confiance en mes projets et mes facultés, je ressens beaucoup d’insécurité, surtout depuis un certain cours de philosophie au cégep sur le système économique capitaliste. Il ferait en sorte que la génération suivante aura toujours de plus en plus de difficulté à atteindre le même niveau de confort que ses prédecesseurs. En gros, c’est pourquoi nos grands-parents avaient deux grosses voitures, une grande maison et un chalet, et que nous on se demande comment on va faire pour avoir un logement convenable. Je ne pourrais pas vous expliquer les grands principes, je n’ai retenu que cette conséquence et il y a des exceptions, mais les dommages collatéraux sur mon subconscient se font encore sentir trois ans plus tard.
J’ai de la facilité à me déculpabiliser par contre. Je ne suis même pas encore majeure partout dans le monde. Je paye une pension pour l’épicerie et l’internet. C’est déjà plus que la majorité, car 90 % des jeunes adultes qui résident avec leurs parents n’ont pas de responsabilités liées aux paiements du ménage. Je travaille selon un horaire variable, donc mes payes sont aussi variables. Je m’entends bien avec ma famille, ce n’est pas comme si les relations à la maison étaient invivables. En plus, celle-ci est bigénérationnelle, avec mon grand-père qui a son propre logement à côté. C’est comme si elle devenait trigénérationnelle avec moi au sous-sol… Il faut le dire, je pense que je m’ennuierais toute seule après avoir passé tant de temps avec deux sœurs, un frère, un père et une mère aimants dans le décor.
Je vous parlais d’économie tantôt, ça aussi c’est très réfléchi. Ne pensez pas que je dépense tout mon argent en vêtements et en sorties. J’ai un compte épargne libre d’impôt et j’espère bien pouvoir acheter mon propre condo ou construire une mini-maison en partant de chez mes parents, plutôt de faire des paiements mensuels pour un appartement qui ne sera jamais à moi de toute façon. Si tout ne s’envole pas durant des voyages autour du monde… Ça me rendra riche différemment, je me dis, riche de découvertes et de souvenirs.
Il paraît que le phénomène des «Tanguy», de ceux qui stagnent chez leurs parents, illustre une bonne valeur de solidarité familiale. Ce sera peut-être moi qui retournerai l’ascenseur à mes chers géniteurs quand ils seront vieux…