Mario Alberto Reyes Zamora, L’Itinéraire, Montréal, le 1er octobre 2016
Avec Topoésie, Marie-Claude De Souza souhaite introduire, à contrecourant des guides toponymiques officiels, des surnoms de lieux suscités par l’imaginaire populaire.
La topoésie est une forme de création artistique qui englobe toponymie et poésie. Grâce à la participation des citoyens, c’est une œuvre en constante évolution, Marie-Claude De Souza s’installe dans les aires de rassemblement avec son kiosque mobile, appelé « bureau de poétisation ». Elle y recueille des informations sur les lieux-dits, selon sa définition personnelle qui allie géographie, histoire et folklore, ainsi que la créativité et les habitudes des citoyens. L’artiste recueille des toponymes populaires et des anecdotes ou des petites histoires qui en expliquent l’origine, puis vérifie les informations à l’aide d’entrevues et de recherches documentaires,
Son but est que tes gens prennent la parole et rebaptisent les lieux de façon poétique, Elle demande aux participants de ne pas prendre en compte la toponymie officielle et de renommer un lieu, une place, une rue selon l’usage actuel qu’on en fait.
Le regard du citoyen
Je l’ai accompagnée à la station de métro Papineau pour la voir à l’œuvre. Après avoir installé son « bureau de poétisation », une simple chaise avec sa liste de lieux- dits déjà répertoriés et des cartes géographiques, elle entrait en contact avec des passants aux profils multiples. J’en ai profité pour lui suggérer « le roi assoupi» pour désigner le Mont-Royal.
Bien que tes rencontres aient été peu fructueuses, elles m’ont permis d’apprécier l’interaction entre l’artiste et les gens, qu’elle considère comme des éléments essentiels de son projet. « L’idée, c’est de m’adresser à tout le monde sur le même pied d’égalité, raconte l’artiste lors de son passage dans les bureaux de L’Itinéraire. Chaque citoyen porte un regard différent sur tel ou tel endroit de sa ville : le bagage, les besoins et les rêves de chaque individu nous révèlent quelque chose sur eux et aussi sur nous en tant que société, » Dépendre de la réactivité des gens ne constitue-t-il pas un frein à l’écriture ? « La contrainte est pour moi une source de création, non pas une entrave», dit-elle en souriant.
Personnellement, je trouve que tes exemples qu’elle nous a cités peuvent facilement ressembler à de ta poésie, Puisque les surnoms donnés révèlent un peu de l’âme des endroits choisis, Par exempte, la « rondelle » au métro Berri est un surnom que plusieurs personnes connaissent, savent-elles qu’on nomme également cette place la « pastille », ta« puck », Ia « cenne» ou le « beigne» ? Chaque dénomination contient une part de sens,
Autre lieu-dit très peu connu : celui du métro Lionel-Groulx. J’écris « très peu connu» parce qu’à la base du surnom qui lui est attribué figure un couple qui se donnait rendez-vous à cette station et la nommait «les Pétales », Un homme y revendait en petits bouquets et à prix modiques, des fleurs achetées au marché Atwater et y éparpillait les pétales par terre, «Dans ce cas-ci, j’ai élargi le champ pour qu’on rentre dans le monde de la poésie», explique l’artiste. Elle a voulu ainsi illustrer une particularité du lieu qui prenait valeur de symbole et qui trouvait écho chez plusieurs usagers de la station de métro.
Un cas démontre la force de la collectivité: un espace vert naturel dans le quartier du Mile End, autrefois ta cour de triage du Canadien Pacifique. Il y a plusieurs années, les citoyens se sont approprié le site pour le protéger, mais aussi pour y tenir des activités artistiques, d’éducation, d’animation et de conservation. Baptisé le « Champ des possibles», il a vu son nom officialisé en 2013 par l’arrondissement. Comme quoi les lieux-dits peuvent avoir raison des toponymies officielles. Le nom, au départ connu par un groupe de citoyens, a fini par être adopté par la majorité.
Comme pour son projet Topoésie, Marie-Claude De Souza cherche la matière de son travail auprès des gens, je lui ai demandé quelle avait été sa plus belle rencontre à ce jour, « Il y en a eu plusieurs, mais une rencontre m’a spécialement marquée. C’est celle de David, camelot pour L’Itinéraire, à Longueuil. Avec lui, maintenant réinséré dans la société, j’ai refait la « ronde de lait », parcours à géométrie variable qu’effectuent chaque jour certaines personnes en situation d’itinérance à Montréal. Nous sommes retournés devant l’escalier où il s’asseyait durant la journée, à la Maison du père, dans les parcs, etc. Revivre en souvenir cette « run de lait » a été très émouvant pour lui et pour moi. » Dans ce cas-ci, il ne s’agissait pas de surnommer un lieu-dit, mais plutôt d’identifier, par une expression connue de tous, un cheminement.
Pour découvrir en quoi consiste concrètement Topoésie, je vous recommande d’aller voir l’exposition qui se tiendra à l’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts du 19 au 23 octobre et à la Bibliothèque Georges-Dor, à Longueuil, du 13 décembre au 15 janvier. L’exposition documentera les étapes de l’intervention poétique, Elle consistera en enseignes éphémères et en citations, photographies et cartes géographiques,
La présentation sera appuyée par un site web (topoesie.com) qui rassemblera les archives de cette œuvre en construction, des extraits vidéo et ta géolocalisation des lieux-dits. Les gens auront la possibilité d’y ajouter leurs propres suggestions de lieux-dits. «Le site prendra en compte toutes les interventions que j’ai faites en Gaspésie, d Longueuil, d Montréal et dons d’autre villes. J’ai envie que Topoésie, que je vois comme une grande recherche sur notre rapport au territoire, continue d’évoluer. Ultimement, j’écrirai peut-être un recueil sur les thèmes qui se sont dégagés de mes interventions sur le terrain. » Des thèmes aussi variés que «animaux », «immigration », «religion», « folie de jeunesse», «années 1970», etc.