Christian Guay-Poliquin, Le Saint-Armand, Saint-Armand, août-septembre 2016
Si tu veux parler du monde, parle de ton village. » Cette phrase de Léon Tolstoï nous rappelle à quel point l’universel s’exprime à travers le singulier. Le premier livre de Simon Brousseau, Synapses, se situe précisément sur cette frontière entre le vécu individuel et l’expérience commune. En faisant référence à la zone de contact entre les neurones, le titre de cet ouvrage évoque bien sûr l’idée d’une connectivité entre différents ensembles dynamiques mais surtout, l’existence d’un lien inaliénable unissant les individus.
Le texte de Brousseau rassemble près de deux cents histoires, anecdotes et impressions momentanées. Chacune d’elles est racontée en une seule phrase qui fait près d’une centaine de mots. Si cette contrainte narrative peut sembler formaliste, le résultat est d’autant plus surprenant. Racontés au « tu », ces fragments nous rejoignent comme si tous les personnages auxquels s’adressait le narrateur vivaient secrètement au fond de nous. Comme si l’enchaînement envoûtant de ces récits éclectiques appartenait à notre flot de pensée, à notre manière de converser ou encore au fil d’actualité des réseaux sociaux. Parfois ironiques, parfois profonds, toujours captivants, les divers tableaux de Synapses se lisent comme un roman.
À la manière du photographe, qui capture les moments inusités de nos vies, Brousseau donne l’impression de dessiner les traits de notre humanité à partir d’une multitude de micros événements à la fois banals et marquants. Alors que certains se recoupent ou se complètent, c’est principalement la diversité de ces portraits qui fait le récit de Synapses Cette tension entre l’expérience individuelle et l’imaginaire collectif constitue le cadre de cette mosaïque habilement assemblée.
Si la synthèse de cette œuvre nous glisse sans cesse entre les doigts, le rythme étudié des fragments et le regard pénétrant du narrateur nous emporte comme un mouvement de foule : ce mouvement de vague et de ressac des gens qui vont et reviennent du travail, des gens qui naissent et puis meurent, des gens qui s’arrêtent un moment devant quelque chose, se questionnent et repartent. Ce mouvement de foule que nous sommes.
Dans le livre de Brousseau, on retrouve ainsi un enfant convaincu que son père est le plus fort du monde car il a déplacé le cabanon de la cour arrière; un voyageur qui trouve que les larves grouillantes qu’il a avalées par orgueil en Amazonie goûtaient les bonbons au beurre de son enfance ; un ancien fumeur qui rêve sans cesse qu’on lui offre des cigarettes ; un père de famille qui, en reluquant les jambes d’une jeune femme à l’épicerie s’aperçoit honteusement qu’il zieute une amie de sa fille ; ou encore une joueuse compulsive qui est convaincue que sa chance n’a rien à voir avec le hasard : Tu crois qu’il faut faire sa chance et c’est pourquoi tu as décidé de participer à tous les concours qui s’offrent à toi, d’abord à l’épicerie et dans tes magasines favoris, puis tu as élargi ta quête aux concours lancés dans les revues, dans les journaux et sur internet où les promesses abondent, ton hobby occupe désormais tous tes temps libres, tes efforts ayant heureusement été récompensés jusqu’à présent par une paire de billets d’avion en classe économique pour Orlando, cinq cent dollars de produits Yves Rocher, des serviettes de plage Club Piscine, un abonnement d’un an à Échos Vedettes et surtout, par la conviction inébranlable que, quelque part, dans le gâchis du ciel, une étoile brille secrètement pour toi.
S’il se défend bien de faire un portrait de la génération Y, l’auteur garde un sourire en coin. « On trouve toujours moyen de parler de soi, avoue-t-il, car parler de soi est un prétexte pour parler de notre monde ».
Courtepointe de récits fulgurants, drôles, émerveillés et graves, Synapses est à lire et à relire tout comme il est bon, parfois, de s’asseoir sur un banc pour regarder passer les gens en laissant des bribes de leurs conversations se mêler à nos pensées.
Simon Brousseau travaille maintenant sur un recueil de nouvelles. Il s’intéresse toujours à cette ambiguïté fascinante qui sépare les moments heureux et les événements tristes, à cette zone grise où se déroule l’existence, entre la joie et le doute.