Benjamin Fortin, Diane Trottier et Michel Gaudreau

Un bras à la fois

Diane Trottier, L’Attisée, Saint-Jean-Port-Joli, septembre 2016

Le 23 juillet dernier, j’ai réalisé avec plaisir et fierté un rêve que je souhaite partager avec vous. Je demeure à Saint-Jean-Port-Joli depuis huit ans et je suis toujours fascinée par le Lac Trois- Saumons, quel que soit la saison.

J’en fais le tour régulièrement, que ce soit en marchant, en ski de fond classique en forêt, en ski de patin au printemps, en vélo et à la nage en été. Quel bonheur de nager en eau libre! La traversée du lac en était à sa 12e édition. Organisée par des bénévoles de Lévis, elle permet à des nageurs de pratiquer en vue de compétitions dans d’autres lacs de la province. Cette année, il y a eu 45 inscriptions, 17 hommes et 28 femmes, dont les âges variaient de 18 à 69 ans.

Cette année, à l’aube de mes 65 ans, j’étais décidée à tenter ma chance et à faire aussi la traversée à la nage. Pourquoi me donner un tel défi? Pour célébrer le fait d’avoir arrêté de fumer il y a maintenant trente ans. Je me prouvais que j’avais retrouvé mon souffle. Quelle libération!

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé nager, marcher et pédaler. Pendant quarante-cinq ans de vie adulte, j’ai pratiqué diverses activités sportives me permettant d’améliorer mes capacités cardio-vasculaires. Pour moi, l’exercice physique apaise l’anxiété, améliore l’apparence et apporte une sensation de contrôle de soi.

Le jour de la traversée, tous les astres se sont alignés pour que je réussisse mon exploit. Entre parenthèses, je dis souvent à la blague que je parle au Seigneur pour obtenir des faveurs. Cette fois-ci, j’ai dormi avec lui! Il m’a accordé des conditions favorables comme je le souhaitais soit une eau à 70 ° F, des vents faibles de l’ouest et du soleil. La combinaison parfaite! Lors d’une telle traversée, chaque nageur doit obligatoirement être accompagné d’un kayakiste à des fins de sécurité. Toujours bénie des dieux, j’étais accompagnée par un ami kayakiste expérimenté et de plus résident du lac. Un tel exploit se prépare longtemps d’avance. Pendant neuf mois, beau temps ou mauvais temps, à raison de deux fois par semaine, je me suis rendue à la piscine de Montmagny. Je m’entraînais à nager, mais pas à affronter l’eau froide. La piscine d’eau salée étant chauffée à 82 ° F, le choc de l’eau froide a été brutal en juin au lac!

Le Seigneur étant toujours favorable à mon projet a incité mon conjoint et une amie à m’accompagner. Ils se sont fixé comme objectif d’améliorer leur technique au crawl. J’avais donc le plaisir de faire du co-voiturage et de partager les aléas d’un entraînement en piscine aux heures de grande affluence. Avant de me lancer dans la traversée du lac, mon objectif était de nager 2 km à l’heure, soit 80 longueurs d’une piscine de 25 m. Lors de la traversée, j’ai nagé sept km en 2 h 51 min 49 s. Les meilleurs nageurs ont réalisé la traversée entre 1 h 14 et 2 h. Je suis arrivée la dernière, mais c’est tout de même moi qui ai nagé le plus longtemps, ce dont je suis assez fière.

Toucher la bouée de la fin de parcours procure un plaisir indescriptible, sans compter l’accueil enthousiaste de la trentaine d’amis transformés en fan club pour l’occasion. Contente et euphorique, je suis sortie de l’eau souriante pour aller célébrer avec mes amis. Comme je ne ressentais aucune courbature, j’avais oublié qu’après une activité d’endurance comme celle que j’avais réalisée, il est essentiel de se faire masser pour permettre aux muscles de récupérer. Je flotte aisément dans l’eau et je glisse sans difficulté, un peu comme une anguille selon ce que me disent mes amis. Je ne me voyais donc pas comme une athlète, même si c’est la performance que j’avais demandée à mon corps. Quarante-huit heures plus tard, il a suffi que je me prenne le pied dans un foin de mer pour que je tombe.

Les muscles de ma jambe, incapables de faire le transfert de poids, ont subi un claquage musculaire. Ce genre d’incident est apparemment fréquent chez les athlètes après une performance exigeante. Moi qui croyais qu’une petite marche tranquille était la chose à faire! Je me suis retrouvée en béquilles et dans un fauteuil. Une mauvaise blague du Seigneur envers quelqu’un comme moi qui bouge tout le temps! Heureusement, une amie, sûrement inspirée par le Seigneur, m’a cédé sa place chez son kinésithérapeute le lendemain. Arrivée à son bureau dans l’espoir qu’il m’enseigne à me servir des béquilles, j’en suis ressortie sur mes deux jambes avec seulement une canne et bien sûr les antidouleurs prescrits par le médecin.

Après une semaine de convalescence sur ma chaise longue au soleil avec un bon roman, les muscles se sont régénérés. Alléluia! J’ai même pu reprendre la natation sans douleur et en douceur.

J’ai vite retrouvé ma joie de vivre, le plaisir de bouger et de rire. Le souvenir de la traversée réussie me remplit de bonheur et de gratitude envers la vie pour tous les défis qu’elle met sur ma route pour m’aider à aller plus loin. Je sais qu’il y a toujours « une étoile pour chacun de nous ».

Je suis reconnaissante aussi à tous ceux et celles qui m’ont encouragée à réaliser cette folie. Par leur confiance, leur écoute, leur complicité et leur solidarité, les gens qui m’entourent ont su me donner le courage nécessaire pour vivre ce dépassement de soi. Pour moi, une des clés du bonheur est de se laisser porter par la vague, comme je l’ai fait dans le lac, ce qui amène un abandon, un lâcher-prise qui aide à relativiser ce que la vie nous apporte.