Le journalisme citoyen, une nouvelle ère pour votre équipe et votre public !

Télécharger la version PDF

Bonjour, bienvenue à ce onzième mémo numérique portant sur le journalisme citoyen. Nous y aborderons le contexte dans lequel cette pratique est apparue, les variantes du journalisme impliquant les publics, ce qu’il implique et dans quelle mesure il est viable pour les médias écrits communautaires. Enfin, nous aborderons les changements impliqués par le journalisme citoyen dans la pratique des journalistes.

Contexte

Par le passé, on a pu observer un désengagement des journalistes par rapport à leurs publics. Cela n’était pas nécessairement bien vu par les lecteurs, mais, d’un point de vue économique, cela était mieux pour l’entreprise. La situation est complètement différente aujourd’hui. Les lecteurs ont des millions de possibilités de contenu au bout des doigts et les journalistes et les médias sont conscients de l’énormité des défis que la situation implique.

L’accès à l’information s’est démocratisé. Le journaliste n’a désormais plus le choix de s’engager auprès de son public et de se montrer pertinent pour éviter de perdre son attention. Les journalistes doivent ainsi remplir activement les besoins de leurs audiences par tous les moyens possibles. Ils doivent également demander à leurs publics des photos, des vidéos et de courts textes racontant des événements qu’ils ont vus ou vécus. Nous concevons que l’engagement des publics envers l’actualité est vague et parfois difficile à saisir pour les journalistes. Vous devez toutefois savoir que prendre acte de cette réalité est plus complexe que de se contenter d’actualiser vos réseaux sociaux tous les jours.

Les publics, de leur côté, ont fortement évolué. En 2020, près de 3,5 milliards d’individus possèdent un téléphone intelligent. Ces appareils offrent différents outils technologiques aux citoyens (photos, vidéos, rédaction, montage) pour qu’ils puissent partager et créer eux-mêmes des contenus informatifs sur les plateformes numériques. Ces possibilités peuvent être très utiles pour les journalistes, surtout lorsque les situations exposées par les publics étaient préalablement inconnues ou ignorées de ceux-ci.

Vous avez probablement remarqué que, lorsque les publications d’utilisateurs créent un « buzz », de nombreux journalistes et sites d’informations en ligne comme La Presse, Narcity ou Urbania utilisent certains de ces contenus pour alimenter leurs propres plateformes. Dans ce contexte, vous comprendrez pourquoi le rôle de journaliste amateur que joue le citoyen est devenu important dans la démarche des journalistes.

Aussi, un phénomène intéressant est que, grâce aux moyens numériques qu’ils ont à portée de main, les jeunes exposent les événements ainsi que les injustices qu’ils vivent quotidiennement. Les réseaux sociaux et les différentes sphères d’expression numériques accentuent vivement ce phénomène.

Différents types de journalisme

La pratique du journalisme s’est en quelque sorte segmentée depuis l’arrivée d’internet. Les journalistes et leurs publics évoluent en fonction de la manière dont ils créent, partagent et consultent l’information. Les gens qui publient du contenu citoyen ne revendiquent pas nécessairement d’appartenance à mouvement en particulier.

Les publics et les journalistes s’inspirent des tendances présentes sur les réseaux sociaux et les sites de partage de contenu en ligne, ce qui les aide dans le développement de leurs compétences — professionnelles ou amatrices — en journalisme 2.0. Certains types de journalisme participatif plus civiques favorisent l’implication des médias dans le processus démocratique. Le phénomène se serait développé vers la fin des années 80 et le début des années 90. Aujourd’hui, les journalistes encouragent les citoyens à débattre avec eux de différents sujets. Les médias ne font plus uniquement transmettre de l’information, ils aident aussi au développement de la société en mettant de l’avant les causes sociales qu’ont à cœur les citoyens et en établissant un espace de discussion pour ces derniers.

Dans les médias québécois (La Presse, Radio-Canada), on peut observer une autre tendance qui se distingue du journalisme citoyen et de ses valeurs de création et de partage : celle où le journaliste reste maître de sa pratique. Il laisse cependant une place très importante à la participation, aux interventions, aux commentaires et au point de vue des citoyens dans sa démarche.

Les publics et le numérique…

Le numérique a joué un rôle important dans les changements survenus dans pratique journalistique. Ces changements vont au-delà des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle ou des réseaux sociaux. Le « numérique » est une révolution en soi. Il bouleverse notre manière de réfléchir et d’interagir avec nos pairs, les entreprises, la culture et les médias.

Les publics qui consultent l’actualité sur les différentes plateformes numériques sont engagés et critiques. Comme vous avez pu le remarquer dans vos fils d’actualités sur Twitter, Facebook et Instagram, les gens commentent sans se limiter, parfois pour le meilleur et pour le pire, une multitude de sujets. Ils se sont développé une opinion et savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas d’un média.

Mais qu’est-ce que c’est ?  

Le journalisme connecté, le journalisme participatif et le journalisme citoyen sont différents termes qui qualifient entre autres une révolution des rapports entre le journaliste, son public et l’actualité.

En ce qui a trait au journalisme citoyen, le lecteur incarne désormais un journaliste amateur lorsqu’il crée ou partage de l’information qu’il croit pertinente pour ses pairs. Le phénomène semble exister depuis très longtemps. Le numérique, les réseaux sociaux et les différentes plateformes d’expression numérique populaires comme Twitter, Facebook, TikTok, Reddit ou Instagram l’auraient simplement amplifié.

Corée du Sud

Au début des années 2000, un groupe de Sud-Coréens (OhmyNews) en avait assez de la couverture trop conservatrice de l’actualité faite dans leur région. Ils ont décidé de créer leur propre site internet, mais, n’ayant pas les ressources financières pour produire un journal papier ou l’argent pour payer leurs journalistes, ils ont décidé de faire appel à des bénévoles et aux gens du public pour générer du contenu. Ils ont commencé avec 727 citoyens reporteurs et, sept ans plus tard, 50 000 individus provenant de partout dans le monde contribuaient au média.

Malheureusement, le site internet a dû changer de format en 2010 pour devenir un forum sur le journalisme citoyen, car il a été victime de son propre succès. Il était devenu difficile de vérifier les sources de tous les utilisateurs.

Le concept ne semble pas être voué à l’échec dans les plus petites communautés. Un regroupement de médias communautaires pourrait travailler sur un projet similaire à plus petite échelle.

Facteur social

Il y a parfois un motif lié à des revendications sociales à l’origine des publications de certains internautes. Les gens dénoncent les situations injustes qu’ils vivent ou celles qui leur tiennent à cœur. On peut penser au cas des jeunes qui ont vécu les grèves étudiantes de 2012, aux déversements d’eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent, aux situations de violences conjugales, au mouvement « #MeToo » et plus encore. Les personnes partageant à propos de sujets qui ont échappé aux journalistes, deviennent des sources importantes pour les médias traditionnels.

Il y a aussi le fait que les journalistes ne peuvent pas nécessairement se rendre dans les endroits dangereux ou éloignés. Les informations du public provenant des régions où il y a des désastres écologiques ou des situations politiques conflictuelles sont très prisées par les journalistes.

En effet, ces derniers s’appuient beaucoup sur les textes, le visuel et les différents points de vue partagés par les citoyens présents à ces endroits. La multiplication des fonctionnalités permettant de partager un événement en temps réel sur les plateformes comme Reddit, Facebook, Instagram et TikTok contribue progressivement à l’utilisation du journalisme citoyen par les médias traditionnels.

Compréhension

Le terme « journalisme citoyen » ne semble pas encore bien compris par ceux et celles qui créent et repartagent de l’information sur le web.  Cette pratique est spontanée et ne bénéficie d’aucun encadrement de la part d’une entité quelconque, si ce n’est celui des réseaux sociaux, qui censurent parfois des contenus ou indiquent aux internautes lorsque les informations qu’ils publient ou consultent sont trompeuses.

La ligne semble également très mince entre la définition du journalisme citoyen, celle du journalisme participatif et celle du journalisme civique. Ces concepts ne sont pas encore complètement définis et l’évolution des technologies rend la tâche de les préciser relativement complexe. Nous remarquons que la définition de ces deux termes peut aussi varier en fonction de la langue.

Est-ce viable ?

Les réseaux sociaux sont devenus des moyens d’expression pour les publics. Les interactions que vous avez avec les citoyens du public et l’attention que vous portez à ce qu’ils publient sur leur propre plateforme peuvent être d’une grande utilité à votre journal.

Le renversement des rôles lié au journalisme citoyen est controversé dans les médias. La pratique du journalisme citoyen a un peu de difficulté à se faire accepter par les journalistes. La démarche du citoyen ne serait pas considérée comme fiable à 100 %. Plusieurs utilisateurs des réseaux sociaux partagent des contenus et ne vérifient pas nécessairement si les faits qu’ils partagent sont véridiques et si leurs sources sont fiables. Cela diminuerait la légitimité du mouvement aux yeux des médias, ce qui a pour effet de compliquer la collaboration entre médias et citoyens.

Enfin, un exemple d’action que les journaux communautaires peuvent entreprendre est de considérer ce que les jeunes de leurs communautés publient sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram et TikTok). Vous pouvez utiliser les mots clics appropriés associés à vos communautés pour vous aider dans vos recherches et ainsi rejoindre les bonnes personnes. Voici quelques exemples d’événements se produisant dans les communautés des journaux de l’AMECQ :

#festivaldescouleurs ;

#rencontresinterculturelles ;

#salondulivre ;

#fetedulacdesnations…

Enfin, échanger avec les jeunes sur les événements auxquels ils participent ou sur ce qui les intéresse de manière générale peut renforcir et favoriser la création de liens entre votre journal et les jeunes publics.

Changement dans la pratique journalistique ?

Les citoyens ne sont pas les seuls à avoir changé leurs habitudes, le numérique bouleverse également la pratique du journaliste. La contribution parfois émotionnelle, sensationnelle et triviale du citoyen est amplement utilisée par le journaliste pour rehausser son propre contenu et favoriser une discussion avec sa communauté. Voici quelques exemples de ces changements :

  • La frontière entre le public et le journaliste est disparue.
  • Les interactions qu’ont les journalistes et créateurs avec leurs publics sur les réseaux sociaux et sur leur site internet sont devenues essentielles.
  • Les journalistes donnent des pistes et guident leurs lecteurs à travers les contenus qu’ils produisent. Ils créent des liens entre les contenus parus dans les médias traditionnels et ceux publiés sur les différentes plateformes numériques pour en faire des réalités complémentaires.
  • Les journalistes doivent documenter les sources des articles publiés pour assurer la transparence et leur crédibilité. Ils doivent également soutenir ce qu’ils écrivent à l’aide de différents points de vue.

Ouverture au journalisme connecté et au journalisme participatif à l’AMECQ ?

Nous remarquons que les études traitant de ces concepts proviennent majoritairement de l’extérieur du Canada et sont principalement en anglais. Il serait donc intéressant qu’à l’AMECQ, nous approfondissions davantage ce qu’est la pratique du journalisme citoyen et du journalisme participatif au sein des médias communautaires.

En terminant, est-ce que vous croyez qu’il est possible de développer une plateforme de journalisme citoyen en s’inspirant de projets qui se font ailleurs, comme en Corée du Sud, mais à plus petite échelle ? Cette plateforme pourrait être encadrée par un comité de membres issus des médias communautaires québécois (radios, télévisions, médias écrits). Nous pensons que leur expertise serait essentielle si un projet s’inspirant de la pratique du journalisme citoyen venait à prendre forme éventuellement. Enfin, il est fort probable qu’un tel projet ait beaucoup de retombées positives pour les journaux de l’AMECQ. Voici deux exemples de résultats possibles :

  • Augmentation et amélioration des échanges que vous avez avec les citoyens de vos communautés ;
  • Développement de projets encourageant la participation réciproque d’organismes de vos communautés grâce à l’accès exclusif aux rétroactions des publics.

Nous savons qu’à court terme, cette idée semble utopique. C’est dans cette optique que nous vous invitons à jeter un coup d’œil à ce que les gens de vos communautés créent et partagent sur les différentes plateformes numériques. Engagez-vous et discutez avec eux des situations qui leur tiennent à cœur, des injustices qu’ils vivent et de leurs intérêts. Les changements apportés par les transformations numériques ne sont pas uniquement centrés sur les technologies. L’être humain est au cœur de cette révolution.

Sources :

  • Borger, M., van Hoof, A. and Sanders José (2019) “Exploring Participatory Journalistic Content: Objectivity and Diversity in Five Examples of Participatory Journalism,” pp. 444–466.
  • Clark, L. S. and Marchi, R. M. (2017) Young people and the future of new: social media and the rise of connective journalism. Cambridge, United Kingdom: Cambridge University Press
  • Dimitrova (2017) “informing the News: The Need for Knowledge-Based Journalism by Thomas E. Patterson,” Mass Communication & Society, 20(1), pp. 136–139
  • Marchi, R. and Clark, L. S. (2018) “Social Media and Connective Journalism: The Formation of Counterpublics and Youth Civic Participation,”
  • Wenzel, A. (2020) Community-centered journalism: engaging people, exploring solutions, and building trust. Urbana: University of Illinois Press.