Survivre à la « destruction créatrice » des médias

Élisabeth Caron-Sergerie

Les médias traditionnels des quatre coins du monde vivent une période difficile depuis beaucoup trop longtemps : suppressions de postes, pertes de revenus publicitaires, diminution du lectorat, pertes de parts de marchés au profit des GAFAM, changements dans les habitudes de consommation de l’information, etc. On ne vous apprend rien en vous disant que l’accessibilité à l’information locale est devenue un luxe pour un grand nombre de Québécois.

 

La fracture

Plusieurs questions parfois sans réponses ont émergé de cette crise, notamment celle de la relève peu motivée à poursuivre la mission des médias communautaires dans ce bouleversement numérique. L’enjeu actuel des médias écrits est de réduire au minimum cette fracture générationnelle.

Où se trouve cette relève ? Est-ce que les jeunes ont un attachement quelconque à l’actualité locale, au journal papier, voire seulement à l’actualité ? Aussi, est-ce que le seul fait d’avoir vu leurs parents consulter un journal papier lorsqu’ils étaient enfants est suffisant pour leur avoir donné le goût, plus tard, de consommer des productions journalistiques ? En fait, nous croyons que chaque média vit cette situation de différentes façons, mais qu’une réflexion s’impose quand même sur les habitudes de consommation de l’information des jeunes publics.

Vous comprendrez que les jeunes générations évoluent au rythme des innovations technologiques, qui, parfois, fracturent des systèmes fonctionnels mis en place depuis des décennies. La génération Z (1995-2010), décrite comme hyper cognitive et née avec le numérique, s’informe pour sa part en collectant et croisant différentes sources d’informations trouvées autant en ligne que dans leur quotidien. Savoir comment répondre aux besoins et à la soif d’innovation de cette génération est l’enjeu de plusieurs médias partout dans le monde.

 

Qu’est-ce que « la destruction créatrice » ?

Les changements qui se trament dans les médias actuellement nous font réfléchir à certains des principes de la « destruction créatrice » décrits par l’économiste Joseph A. Schumpeter. L’un de ces principes est que toutes les entreprises et tous les médias émergents ne sont pas assurés d’innover dans leur secteur économique respectif et que toutes les innovations n’ont pas forcément de retombées positives dans la société. En ce sens, nous croyons qu’il est crucial d’adapter, voire de modifier légèrement nos modèles d’affaires pour mieux répondre aux intérêts, aux habitudes et aux besoins des jeunes publics pour regagner leur attention et leur confiance.

La « destruction créatrice » représente le résultat d’activités économiques qui, devenues désuètes, sont repensées, voire remplacées par quelque chose répondant « mieux » aux besoins de la société. Nous devons anticiper les prochaines étapes, être visionnaires et comprendre que la transformation numérique n’est pas derrière nous. En ce sens, nous devons nous adapter pour ne pas faire face à la situation que décrit Schumpeter.

Enfin, plusieurs entreprises numériques et médias influents au Québec comme ailleurs, tels que TikTok, Instagram, Urbania, Narcity, ont su conquérir les jeunes générations. Nous croyons que l’idée ici, n’est pas de nous réinventer complètement, mais plutôt de mieux connaître les différentes façons qu’ont les jeunes de s’informer, et ce, afin de leur proposer des solutions de rechange intéressantes.

 

Est-ce possible de limiter les dommages ?

L’idée peut sembler radicale jusqu’à maintenant, mais ne vous inquiéter pas, il sera possible de limiter les dommages si certaines actions sont prises en ce sens. En effet, la « destruction créatrice » n’est pas systématique. Nous n’avons malheureusement aucun contrôle sur la crise de médias ni sur les changements dans les habitudes de consommations des jeunes publics. Toutefois, les médias écrits sont invités saisir les occasions qui naissent de ces changements.

Enfin, nous croyons qu’une piste de solution à l’exode de la relève serait d’ajouter des facteurs d’enrichissement à votre média et de suggérer une proposition de valeur différente aux jeunes publics (diversification des points de vues, contenus audiovisuels…) dans le but de rivaliser avec les différents lieux de regroupement numérique (Twitch, Instagram, What’s App, Fortnite, TikTok…) où ils se retrouvent.

 

Parlons de possibilités…

Pour la survie des médias québécois, une idée serait de réfléchir ensemble à un système qui s’inspirerait d’éléments tirés du développement durable et de s’unir pour développer des solutions publicitaires, numériques et sociales. Ce « système », qui reste à être pensé et développé en profondeur, pourrait prendre en considération le fonctionnement actuel de la société (habitudes de consommation de l’information) en étant visionnaire, ainsi qu’en anticipant et en ne négligeant pas les besoins des futures générations.

Cette idée impliquerait de fournir aux jeunes publics différents moyens, voire de les éduquer pour qu’ils puissent être au courant de ce qui se passe dans leur communauté. L’attention des jeunes envers les contenus des médias locaux serait sans doute conditionnelle à l’utilisation par les médias des nouveaux formats à portée, à la diversification des points de vues ainsi qu’au fait de donner une voix à ces jeunes pour qu’ils puissent s’exprimer sur différents enjeux qu’ils ont à cœur dans la communauté.

En dernier lieu, il est crucial pour les médias écrits communautaires de développer diverses stratégies pour rejoindre les intérêts des nouvelles générations, pour s’adapter au contexte actuel et survivre au principe décrit par Schumpeter (il n’y a, bien entendu, pas de stratégie universelle s’appliquant parfaitement à chacun). Enfin, l’objectif de cet article n’était pas d’être fataliste, mais plutôt de montrer aux médias qu’il est important de prendre en considération les différentes innovations portées par l’évolution des technologies et de savoir en tirer profit.

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