En attendant 2013… et l’adoption d’une politique en itinérance

Audrey Côté, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2010

Très lentement mais sûrement, le phénomène de l’itinérance au Québec prend sa place dans les préoccupations gouvernementales. En décembre dernier, le gouvernement du Québec a donné suite au Rapport de la commission parlementaire sur l’itinérance en présentant son Plan d’action interministériel en itinérance 2010-2013. Ce plan d’action, qui impliquera plusieurs ministères et organismes publics, prévoit des mesures totalisant 14 millions de dollars sur trois ans. Si ces mesures sont minimes et constituent davantage un plan d’urgence par rapport à l’ampleur titanesque des besoins exprimés par les groupes communautaires, qui réclament plutôt une politique globale en itinérance, elles témoignent tout de même d’une certaine volonté politique de lutter contre l’itinérance.

Si les avancées sont timides et peu concrètes, on peut néanmoins dire qu’il ne fait plus de doute que, grâce aux groupes communautaires en itinérance et à leurs alliés de taille (le Barreau du Québec, la Commission des droits de la personne et de la Jeunesse, la Ville de Montréal, le ministère de la Justice), le gouvernement libéral doit s’ouvrir aux besoins criants qu’engendre l’extrême pauvreté qui mène à l’itinérance.

Parmi les bons coups du Plan d’action interministériel déposé par la ministre déléguée aux Services sociaux, Lise Thériault, soulignons la mise en place de services de répit et de lits de dégrisement pour les personnes qui, pour toutes sortes de raisons ne peuvent pas fréquenter les refuges. « Ça faisait longtemps que les groupes en itinérance réclamaient la mise sur pied de ce type de service adapté à une clientèle extrêmement vulnérable. Nous sommes contents d’apprendre que le projet se concrétisera au printemps prochain » a souligné à L’Itinéraire Pierre Gaudreau, coordonateur du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). Le plan d’action de la ministre Thériault prévoit aussi l’accroissement du nombre de jeunes des centres jeunesse qui auront accès à des programmes de réinsertion en emploi afin de prévenir leur aboutissement à la rue. De plus, trois millions de dollars serviront au financement des grands refuges, qui voient affluer de plus en plus de personnes en situation d’itinérance.

Malgré ces quelques avancées concrètes, il y a loin de la coupe aux lèvres, au dire du coordonateur du RAPSIM : « Ce plan n’est pas satisfaisant parce qu’il ne porte aucune vision globale qui impliquerait une véritable lutte à la pauvreté, qui passe notamment par des investissements massifs en logements sociaux et en logements avec soutien communautaire, par une augmentation des prestations de la sécurité du revenu et par des mesures de soutien aux travailleurs à faible revenu. » De plus, à l’exception des refuges, le plan ne propose rien de concret pour remédier à l’essoufflement des organismes qui interviennent auprès des personnes itinérantes. Pour l’ensemble des représentants d’organismes qui œuvrent auprès des personnes itinérantes, la solution la plus logique pour remédier au phénomène de l’itinérance réside dans l’adoption d’une politique globale en itinérance. Cette politique permettrait d’éviter la multitude d’actions incohérentes de la dizaine de ministères qui interviennent dans les dossiers de la pauvreté et de l’itinérance. Par exemple, le ministère de la Santé et des Services sociaux finance les organismes en itinérance, alors que parallèlement le ministère de la Sécurité publique sévit contre ces mêmes personnes en les accablant de constats d’infraction qui les endettent et entravent leur réinsertion sociale. Cette politique globale permettrait d’agir à la fois en prévention et en réduction de l’itinérance.

Bien qu’il continue de réclamer une politique en itinérance, le président de la Commission parlementaire sur l’itinérance, Geoffrey Kelly, n’a pas manqué de souligner en conférence de presse à quel point il est complexe de faire travailler deux ministères ensemble. Imaginez une dizaine… Même si l’adoption d’une politique en itinérance peut sembler utopique pour certains, notamment parce qu’elle exige une coordination impeccable de tous les ministères concernés, il faut que le gouvernement québécois tende vers cet objectif. « Cette politique reconnaîtrait aussi les droits des personnes de la rue, dit Pierre Gaudreau, car il n’y a pas seulement les travailleurs et les consommateurs qui ont droit de cité dans les espaces publics. »

Enfin, la ministre Lise Thériault dit ne pas fermer la porte à l’adoption d’une politique en itinérance après l’analyse du Plan d’action interministériel en itinérance qui prendra fin en 2013. Mais en attendant, il serait souhaitable que le premier ministre Jean Charest joue son rôle de leader du gouvernement en se prononçant publiquement sur la question de l’itinérance, comme il le fait en matière d’environnement, d’éducation ou d’économie.

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