Jean Boisvert, L'Itinéraire, Montréal, le 15 mars 2016
Ghislain a été adopté par ma tante en 1954. Bien qu'il soit décédé d'un cancer en 1986, sa famille biologique a retrouvé ma tante des années plus tard, et a été soulagée d'apprendre que Ghislain avait mené une vie très heureuse dans sa famille adoptive. Tout se passe dans une petite ville dans le nord du Québec qui se nomme Normétal. Dans les années 1950, une belle grande jeune femme, Armande, rencontre un jeune homme nommé Jules. Provenant d'une famille de deux frères et quatre sœurs, dont ma mère fait partie, où les petits enfants sont nombreux, ma tante Armande et Jules n’arrivent pas à avoir de progéniture. Ils décident donc d'adopter.
Mon cousin Ghislain
Le 6 septembre 1954, ma tante et mon onde se rendent à la crèche de la Sauvegarde de Québec pour adopter un petit garçon qu'ils nomment Ghislain. Le petit Ghislain avait été mis à l’adoption par sa mère biologique. L’ayant eu à 16 ans le père n’était pas prêt à avoir des enfants. Déchirée de devoir laisser son premier enfant, la mère biologique regardait par la fenêtre Ghislain, le tout sans que son copain ne le sache.
Ce même homme devient son mari deux ans plus tard et elle a six enfants avec celui-ci. Il interdit à sa femme de parler de Ghislain à ses autres enfants, ce que la mère biologique respecte jusqu'à la mort de son époux, 52 ans plus tard. Après le décès de son mari, en 2005, elle décide qu'il est temps de révéler à ses enfants qu'ils ont un frère aîné. Suite à l'émoi qu'a causé le dévoilement du secret (son frère biologique en a pleuré pendant des mois), la famille se met à la recherche de Ghislain. Lorsqu'ils contactent ma tante Armande, ils entreprennent de faire le voyage de Québec jusqu'à Rouyn-Noranda, en Abitibi-Témiscamingue. Cette dernière leur apprend qu'elle est veuve et que Ghislain est décédé depuis dix ans, soit le 22 octobre 1986, d'un cancer des ganglions.
Après avoir sauté dans tes bras de tante Armande, la mère biologique éclate en sanglots. Toutefois, elle est très heureuse de constater que son premier enfant a trouvé une aussi belle et aimante famille adoptive. Après cette douloureuse annonce, tous ensemble, ils sont allés porter des fleurs sur la tombe de Ghislain, au cimetière de Normétal. Dix ans plus tard, soit en 2015, la mère biologique décède. Quant à ma tante Armande, cette dernière vit toujours, à l'âge de 92 ans, à Rouyn-Noranda, heureuse d'avoir fait la connaissance de la famille biologique de son Ghislain et d'avoir pu leur raconter son histoire.
Le dernier bout de chemin
En 1984-85, Ghislain est diagnostiqué d'un cancer des ganglions. Habitant depuis toujours à Normétal, toute la petite famille, c'est-à-dire ma tante Armande, mon oncle Jules et Ghislain, a déménagé à Rouyn-Noranda, afin de se rapprocher de l'hôpital et de Gertrude (ma mère). J’ai aidé la famille, qui avait besoin de tout le soutien possible, dans son déménagement. Comme de fait, j'ai peinturé l'appartement et j'ai participé au transport des meubles.
Une anecdote me revient : ma tante avait un énorme poêle qu'elle tenait à apporter dans son nouveau chez elle. Après un long moment difficile, mais toutefois teinté d'humour (il faut bien en rire un peu), un ami et moi avons finalement réussi à transporter le poêle. Cependant, une semaine plus tard, ma tante Armande s'en achetait un nouveau! Et laissez-moi vous dire qu'il a été aussi difficile à sortir qu'il l'était à entrer! Lorsque l'appartement a enfin été prêt à accueillir la famille, j'ai aidé à amener Ghislain. Rendu extrêmement faible, je l'ai pris dans mes bras et ai monté les vingt marches menant à sa chambre. Je me souviens encore comment il m'a serré dans ses bras en me remerciant. C’était le 17 octobre 1986. Cinq jours plus tard, le 22 octobre 1986. Ghislain s’éteignait.
Cela fait cinq mois que ma tante Armande est abonnée à la revue L'Itinéraire. Malgré que sa vision ne soit plus ce qu'elle était, elle demande à quelqu'un de proche d'elle de lui lire les textes. Lorsque je lui en parle, elle me dit à quel point elle est impressionnée par la qualité des articles qui s'y trouvent et elle m'encourage à continuer d’écrire. Je lui dédie cette chronique pour la remercier de m’encourager constamment et de m'apporter de la joie de vivre. Merci ma tante de nous avoir partagé cette belle histoire, à ma sœur Jacqueline d'y avoir collaboré, et à mon cousin Jacques-Robert pour avoir fourni les photos. Je vous fais un beau câlin!