René Grenier, Le Stéphanois, Saint-Étienne-des-Grès, juin 2015
Joseph-Léon-Edmond Duval a vu le jour le mercredi 17 juin 1925 à Saint-Étienne-des- Grès; il est le fils de Wilfrid Duval (1896-1977) et d’Eva Lapensée (1902-2001). Il a été baptisé à Saint-Étienne-des-Grès le 18 juin 1925 et a comme parrain et marraine, Léon Desaulniers et Amanda Ferron; Edmond est l’aîné des garçons d’une famille de sept enfants : Fernande, Edmond, Rolland, Thérèse, Aline, Denise et Roger.
Il s’est uni avec Germaine Boisvert, fille d’Olivier Boisvert (1906-1958) et de Marie-Anna Ferron (1907-1959); leur mariage religieux fut célébré le samedi 23 mai 1959 à Saint-Étienne-des-Grès. Ce couple heureux aura trois enfants : Yves, Line et Sylvie et acceptera son neveu, Guy Rivard, sous la responsabilité de la famille.
Enfance
Sachant qu’il se construisait un barrage hydroélectrique dans la région, son père Wilfrid était arrivé de l’Ontario pour offrir ses services à la compagnie responsable du chantier et il était accompagné de quelques amis. Wilfrid a été le seul à accepter d’y travailler. Son épouse et leur fille aînée Fernande sont venues le rejoindre dans les mois suivants en 1925. Leur première maison était située du côté droit du barrage La Gabelle, sur le haut de la montagne, là où se situe approximativement le site d’enfouissement. Edmond est le premier de la famille à naître au site de La Gabelle. La famille a ensuite habité une maison située au bas de la route qui mène au site de La Gabelle, juste avant la traverse du chemin de fer, côté droit. Il se rappelle très bien de l’Hôtel à Moïse qui était situé face à leur maison.
Wilfrid déménagea sa famille, vers 1931, au bas du village, comme il se plaît à décrire l’endroit, dans une maison achetée de monsieur Rosaire Bournival. Un des frères d’Edmond, Roger, habite toujours la maison paternelle. Edmond débuta et compléta ses études primaires au couvent, actuellement l’école Les Grès alors que les sœurs y enseignaient. Sa scolarité s’est poursuivie au High School de Shawinigan; il prenait le train accompagné d’une fille de la famille Turgeon de La Gabelle qui, elle, a continué à fréquenter son cours jusqu’à terme. C’était une classe spécialement dédiée pour les francophones désirant apprendre l’anglais; son père fut incité fortement à le retirer de cette école puisqu’il était mal vu, à l’époque, par les dirigeants religieux, qu’un francophone catholique s’engage dans cette option. Conséquemment, il viendra terminer son secondaire au collège de Saint-Étienne-des-Grès ayant monsieur René Paquin comme enseignant, un homme qui a fait sa marque chez nous dans l’éducation; Edmond a toujours considéré ce professeur comme excellent mais assez rigide avec les indisciplinés.
Pendant la saison estivale, Edmond se trouvait assez facilement du travail à la ferme à tabac Toutant, aujourd’hui la propriété de monsieur Roland Van Dyke et de madame Rose-Marie Milette. Il a ensuite poursuivi ses études à l’École technique de Shawinigan où il a appris les bases générales de différents métiers et comme il n’aimait pas trop l’école, il abandonna ses études une fois sa première année complétée.
La maturité
Lorsqu’il eut quitté l’école, il travailla au barrage La Gabelle pour une période de deux à trois ans. Vers 1945, il s’engagea comme journalier à « Marine Industries » de Sorel où il participa à la construction des embarcations d’invasion, soit des barges de débarquement qui étaient utilisées pour le transport des soldats à la guerre; il habitait à la « wartime housing », nourri et logé. Il ira ensuite demeurer dans une maison privée et pour se nourrir, c’était au restaurant situé face à la demeure.
Il fit l’achat de sa première automobile, auto usagée d’une dizaine d’années; il se comptait chanceux d’avoir pu se procurer un tel véhicule qui lui permettait son déplacement pour le travail. Il apprit à conduire à plusieurs de ses compagnons du temps qui malheureusement, aujourd’hui, sont décédés pour la plupart. Il faut se rappeler que c’était le temps de la guerre et que tout était rationné, jusqu’à la gazoline. Ses emplois se sont succédé en travaillant pour la compagnie « Shawinigan Water and Power » à La Gabelle, à la construction du barrage numéro 3 de Shawinigan, construction du barrage électrique de la centrale Beaumont, en haut de La Tuque puis au poste électrique du Rochon, coin des Forges et des Chenaux, Trois-Rivières. Son auto lui a permis de transporter plusieurs personnes au travail, ce qui faisait l’envie d’un certain monsieur Cloutier, propriétaire du transport par autobus; voici les mots qu’il utilisait au voisinage d’Edmond pour l’effrayer : « Je devrais le dénoncer; y a plus de monde dans son auto que dans mon autobus. »
Avant le mariage, il s’engagea comme draveur, la petite drave comme il se plaît à l’appeler, travail qui ne durait que trois mois par année, d’avril à juillet; son travail était situé à Quessy, au nord de La Tuque et consistait à nettoyer la bordure des rivières et des lacs, à mettre à l’eau le bois coupé par les bûcherons l’hiver, à libérer le bois empilé et emprisonné dans les baies des lacs, et à défaire les embûches et les embâcles de « pitounes ». Il habita les camps de bûcherons sur le bord des lacs et chaque groupe se composait d’une quinzaine de draveurs. Il a participé à la dernière drave de cette région qui a eu lieu en 1957. Edmond mentionnait qu’il aimait beaucoup la drave et qu’il sentait un besoin de s’y présenter à chaque année : « C’était comme une maladie », insista-t-il!
Son patron était monsieur Antonio Blais du 7e Rang. Comme j’avais un besoin de me faire expliquer ce qu’était « la petite drave » : « Était-ce comme les hommes hardis qu’on voit sur les photos, se déplaçant avec agilité d’un billot à l’autre? – Non, me dit monsieur Edmond Duval, la petite drave consistait à se déplacer avec une barge et quatre hommes pour faire le travail. »
Vie de famille
Un jour, un de ses amis lui demanda d’aller le reconduire chez la famille Olivier (Jos) Boisvert du chemin des Dalles et c’est là qu’il fit la connaissance de Germaine, sans plus ou moins d’attirance; au début de ces rencontres, il n’était pas question de fréquentations, les deux étaient de bons amis et en plus de clins d’œil occasionnels, ils prenaient le temps de discuter. Avec le temps qui avançait, Edmond et Germaine ont appris à se connaître et au bout de trois à quatre ans, ce fut la demande en mariage à son père Jos; c’est ainsi qu’il prit Germaine pour épouse et la réception se fit chez les parents d’Edmond; il faut se rappeler que la mère de Germaine était décédée en 1957, l’année précédente.
Le couple s’installa au deuxième étage de la propriété de son beau-frère Willie Bellemare, époux de Fernande Duval, pendant une année; comme la famille s’agrandissait, il fallait plus de place et il prit la décision de louer la maison qu’il habite encore de nos jours pour une période d’un an. L’année suivante, il devint propriétaire de la petite ferme achetée de la fille adoptive de monsieur Uldéric St-Germain. C’est ainsi que débuta une famille unie. Il gagna sa vie en retournant travailler pour la « Shawinigan
Water & Power » et participa aux travaux du barrage sur la rivière Mattawin. Il y était accompagné de son frère Roger. Comme le patron de cette construction n’était nul autre que son beau-frère Marcel Isabelle, époux de sa sœur Aline, ils étaient hébergés à leur domicile.
Lors d’une fin de semaine, besoin se faisant de s’approvisionner, le beau-frère décida d’utiliser la voie maritime avec une chaloupe avec moteur, étant donné la mauvaise qualité des chemins traditionnels; au retour, à la noirceur tombante, la sécurité était de mise. Mais comble de malheur lors du retour, plus on avançait, plus le brouillard devenait épais, à un tel point que la vue avant était presque nulle. Le lac étant supposé être libre de circulation, le groupe circulait quand même aisément quand, tout à coup, l’embarcation frappa un obstacle : c’était un « boom » ou une des estacades entourant une charge ou un lot de bois tiré par un remorqueur. Le bateau survolant la charge de bois emprisonna la chaloupe et ses occupants sur cette charge de bois; afin de se libérer de leur position, il aurait fallu que le remorqueur s’immobilise et ainsi, les billots auraient pu être écartés, libérant la barque de nos voyageurs. Un remorqueur c’est bruyant, et perdus dans la brume, nos aventuriers avaient beau crier, faire toutes sortes de signes, de bruits, on ne les entendait pas. Nos hardis navigateurs ont ainsi passé la nuit blanche dans leur chaloupe, sur le tas de billots, tirés par le remorqueur, jusqu’à ce que le jour se lève et que la cargaison du remorqueur soit arrivée à bon port.
Son dernier emploi fut à la compagnie CANRON de Trois-Rivières, son métier consistant à préparer la pierre qui servait à la production des tuyaux de fonte. Il me raconta qu’il fallait être très prudent lors du nettoyage des cuves sinon il pouvait se produire des accidents lors de la cuisson. Il m’a raconté avec émotions un accident qui s’était produit une certaine journée; comme à tous les jours, il débutait son travail à sept heures du matin et moins d’une heure après, tous les gens étaient détrempés tellement la chaleur était intense. Un jour, alors qu’il se retrouvait à une distance d’une trentaine de pieds de la cuve à fonte, celle-ci explosa, on dira que le fourneau avait sauté; le produit s’éclaboussait comme un volcan et se projetait à grande distance évitant de justesse Edmond. Au même moment, en se retournant, il vit un de ses confrères de travail ébouillanté par le produit qui se déversait sur lui. Quel mauvais souvenir gravé à jamais dans la mémoire d’Edmond!
La retraite se présenta en 1982 avec la fermeture de la CANRON. Depuis, il profite de ses beaux moments avec son épouse pour faire de la marche, de la raquette et de la bicyclette. Il m’a mentionné que son environnement a bien changé depuis son arrivée dans sa maison familiale. Il n’a pas connu la période lorsqu’on s’éclairait à la lampe, probablement grâce à la centrale électrique du barrage de La Gabelle qui alimentait le site même et dont la distribution de l’électricité avait débuté dans la municipalité.
Perte d’un enfant
L’année 1987 fut désastreuse pour la famille. Un des enfants, Yves, perdit la vie suite à un accident de travail. C’est avec beaucoup d’émotions que monsieur Duval me raconta l’histoire et l’enchaînement des faits accidentels. Ce furent de durs moments à passer. Vingt-huit ans déjà et c’est comme si c’était hier; comme il me l’a mentionné : « Ce sont des moments qu’on ne peut pas oublier, il faut apprendre à vivre avec ça mais ça ne devrait pas être permis de perdre nos enfants de notre vivant, c’est trop cruel. »
Merci beaucoup, monsieur Duval, de nous avoir raconté vos souvenirs et même vos moments les plus douloureux, pour ne pas dire les plus intimes. Je vous souhaite une bonne santé et de continuer à avoir des moments heureux avec votre épouse Germaine et vos enfants et petits-enfants.