Réal Boisvert, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, mai 2015
La pancarte a été vue dans les journaux, à la télé et sur les réseaux sociaux. À la suite de quoi, la jeune fille qui la tenait a été houspillée sans retenue. Les tribunes téléphoniques radiophoniques se sont déchaînées. Les ministres, les patrons, les gens de bien l’ont sermonnée. Dans la même veine, tous les chroniqueurs ont emboîté le pas.
Les uns ont applaudi le recteur pour avoir appelé l’anti-émeute chargée de déloger des étudiants, barricadés dans un recoin de l’UQAM. D’autres s’en sont pris à cette autre jeune fille à Québec qui s’est retrouvée devant un agent de police qui lui a déchargé son fusil à gaz en plein visage. Tant pis pour elle ! Des voix se sont élevées pour ridiculiser les fautes de français sur les affiches. Quelle honte ! Des professeurs, le vénérable Bernard Landry en tête, se sont empressés à leur tour de rédiger une lettre ouverte, dénonçant, avec force épithètes et bon accord du participe passé, la barbarie estudiantine. Et l’opinion publique, d’une seule voix, de convenir que le saccage ne mène à rien. Vrai, le saccage ne mène à rien. Mais quelqu’un quelque part s’est-il demandé à la solde de qui sont les casseurs? Puisqu’ils sont encagoulés, qui nous dit que ce sont des étudiants ?
Pourquoi ces derniers se travestiraient-ils en vandales ? Ça et offrir sur un plateau d’argent le prétexte pour que la cavalerie fonce dans le tas, n’est-ce pas du pareil au même ? Vrai aussi, les revendications ne sont pas claires. Les étudiants sont divisés. Les porte-parole maladroits. La cause allergique à toute rectitude politique. N’empêche.
Ce slogan qu’on ne veut pas voir, ce « Fuck toute » qui fait trembler dans les chaumières, que signifie-t-il en réalité?
N’est-ce pas un gros miroir qui nous est braqué en pleine face? Un miroir où il n’y a pas que du joli. Tiens, on pourrait y voir les 400 sites contaminés laissés en plan dans le Grand Nord par des minières irresponsables. Un saccage environnemental sans nom. Et là, nos autoroutes encombrées aux heures de pointe, un parking de moteurs en marche avalant goulûment des millions de litres de pétrole. Ô miroir… quoi d’autre? Nos belles manières peut-être ? Il faut voir avec quelle civilité notre élite s’y prend pour échapper au fisc, pour s’habiller chic, pour se porter volontaire au Sénat, pour aller toucher sans gêne sa prime de départ. Cachez ce miroir qui exhibe nos petites omissions, nos trahisons, notre mépris pour les intellectuels, notre apathie à l’écoute d’un animateur qui traite les étudiants de crottés devant le ministre de l’Éducation. Vous M. le ministre, ce soir-là, quand vous vous êtes regardé dans le miroir, étiez-vous fier de vous? Vous sentiez-vous digne de la fonction que vous occupez après avoir été incapable de corriger sur-le-champ le soi-disant malabar qui s’est adressé à vous avec une si grossière impolitesse?
Et si d’aucuns n’en voulaient plus de tout ça, du bonheur à crédit, des tout inclus, des grosses cylindrées, des humoristes à la con, des districts 55 en carton- pâte. Avant de les blâmer, pourquoi ne pas écouter ce que les jeunes en colère ont à dire… pourquoi ne pas les inviter à redessiner le monde ? Tout d’un coup qu’ils nous en offriraient un meilleur…