Déjà l’hiver

Colette Lachance, Le Beau Regard, Sainte-Lucie-de-Beau-Regard, décembre 2014

Dès que les premiers flocons de neige blanchissent le sol, nos grands-pères et grands-mères s'emploient à organiser leur milieu de vie à résister aux rigueurs et aux longs mois de l'hiver.

Depuis des semaines déjà, les bûches sont empilées en de longues cordées faisant comme un rempart derrière la maison. Les fenêtres sont soigneusement calfeutrées coupant le chemin aux courants d'air glacial. Les tapis sont déroulés devant les portes pour absorber neige et glace, épargnant les attaques au plancher de bois.

Les provisions de bouche bien classées dans la dépense et le caveau. Les animaux, vaches, cochons et volailles sont à l'abri dans l'étable. On attend cependant quelques jours de froid vif pour faire boucherie; il serait dommage de perdre de précieuses ressources alimentaires à cause d'un trop grand empressement à abattre les bêtes destinées à la table.

Dans les magasins des villages s'entassent les marchandises diverses en prévision des jours où les chemins d'accès seront devenus impraticables. Par exemple, chez le marchand général Darie Lemieux aussi bien que chez Eugène Pelchat l'entrepôt déborde de farine, de sucre, de mélasse; les bas de feutre et les mitaines de cuir s'entassent sur les tablettes; les barils d'huile à lampe sont remplis à ras bord.

Résidant loin les uns des autres, les colons se devaient de garder attelages et voitures en bon état, toujours prêts à l'usage. Aux premiers jours froids, ils portent une attention particulière aux harnais et aux ferrures des voitures. Il serait désolant qu'une négligence cause des accidents ou empêche des déplacements urgents. Forgerons et cordonniers sont fort sollicités à l'approche de l'hiver.

C'est au cordonnier que le colon s'adresse pour obtenir les lanières de cuir neuves qui serviront aux réparations des attelages; en même temps il fait aussi ressemeler les chaussures de la famille.

Au début du siècle dernier, c'est la forge d'Amédée Lacroix qui est fréquentée, un peu plus tard, Albert Laflamme prend la relève. C'est là que les nouvelles ferrures sont fixées aux grands traîneaux et aux fines carrioles. Le bon colon ne néglige pas la sécurité de son cheval; lors du passage à la forge, celui-ci sera ferré à la glace comme on se plaisait à le dire. Ces tâches accomplies, c'est l'esprit en paix que le colon regagne son domicile.

À mesure que le froid et la neige s'installent, les habitants des régions se réfugient dans la douceur de leur maison. À la soirée, la marmaille couchée, mères et grands-mères

s'adonnent aux travaux d'aiguilles. Il est temps de remplacer le manteau de l'aînée devenu trop court et trop étroit. A la faible lueur des lampes à l'huile, bas, tuques et mitaines surgissent des mains habiles des grands-mères. Avec de la laine plus fine, gardée en réserve, les mères s'appliquent à tricoter de soyeux foulards et des gants délicats, parfois brodés, qui seront destinés aux cadeaux des Fêtes.

En décembre, chez Darie Lemieux, la vitrine au-dessus des bancs à clous, celle faisant face à la porte s'orne d'objets annonçant le temps des fêtes. Guirlandes rouges et vertes, petits Jésus de cire, quelques boites de fragiles boules de verre coloré attirent l'attention du client. Des bonbons durs, de bonbons français et des chocolats s'ajoutent aux marchandises disponibles.

C'est aussi en ce temps de l'année que les familles qui ont quelques économies commandent à Jean-Baptiste Lavoie, un menuisier de grand talent, débordant d'imagination, des objets utiles mais qui se révèlent aussi des cadeaux de choix très appréciés.

Les skis avec attaches en cuir se fixant sur différentes chaussures, le solide traîneau à patins recouverts d'une bande métallique ou la petite berçante, réplique de celle de grand-mère sortent de son atelier et sèment la joie tout en étant utile de nombreuses années.

La veille de Noël, c'est confiant et joyeux que le père de famille harnache son cheval afin de se rendre à l'église pour la messe de minuit. Les jours suivants sont consacrés aux réunions de famille, aux visites aux voisins. Bien emmitouflés et blottis sous les robes de fourrure les familles font provisions d'anecdotes et de souvenirs pour l'année entière. Et c'est au jour de l'An que l'on reçoit les étrennes tant attendues.

Aujourd'hui, peut-on encore seulement imaginer le plaisir ressenti à recevoir une poupée de chiffon rembourrée de sciure de bois, ou un joli cheval sculpté dans une bûche ou bien un petit traîneau peint en rouge qui servirait uniquement de jouet et non d'objet utilitaire pour tous.

Bien de la neige est tombée sur les souvenirs et les coutumes d’antan.

 

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