Geneviève Gélinas, GRAFFICI, Gaspésie, décembre 2014
Au moins quatre fois par an, Stéfan Poirier, de Gaspé, prend le volant de sa voiture vers Québec avec sa fille de 16 ans, Béatrice, pour trois jours d’examens et de consultations au Centre hospitalier de l’Université Laval. Comme eux, les Gaspésiens cumulent des milliers de déplacements tous les ans pour recevoir des soins à l’extérieur de la région.
Béatrice est atteinte de dystrophie myotonique de Steinert, une maladie qui affecte les muscles et les organes. « Dans son cas, c’est tellement spécialisé que ce serait difficile d’avoir des spécialistes ici [à Gaspé] », explique M. Poirier. À Québec, elle voit une flopée de médecins, dont un neurologue et un gastroentérologue pédiatriques.
À cause des longues distances, chaque voyage signifie une semaine de congé d’école pour Béatrice et de travail pour M. Poirier. Ingénieur au ministère québécois des Transports, il utilise ses vacances, ses congés de maladie et le temps supplémentaire accumulé. « À une époque, quand les soins [à donner à Béatrice] ont été plus intensifs, on m’accordait 20 jours en plus par an, et mon salaire était ajusté en conséquence. »
Au total, les Gaspésiens font au moins 23 000 déplacements par an pour recevoir des soins de santé. C’est sans compter les trajets à moins de 200 kilomètres de chez eux ou ceux faits par ambulance, avion-ambulance ou transport adapté.
L’obligation de déménager
Pour Camille Jeannotte, 78 ans, la survie passait par un déménagement à Rimouski. « Mes deux reins sont finis, ils ne fonctionnent plus du tout », explique-t-il. Trois fois par semaine pendant quatre heures, il doit se brancher sur un appareil d’hémodialyse qui fait le travail de ses reins, c’est-à-dire d’épurer son sang. Les six enfants et les sept petits-enfants de M. Jeannotte habitent Gaspé. « Ça fait de la peine, dit-il. On perd nos amis, nos enfants. Une fois par deux mois, on descend à Gaspé, mais on ne peut pas rester plus que deux jours. »
À Rimouski, il doit payer un loyer de 600 $, ce qui le contrarie, puisqu’il possède une maison à Gaspé. « On me dit que si je voyageais, on me paierait mon kilométrage, mais comme je suis ici, ils ne peuvent rien me donner, dit-il. Ce serait bon d’avoir de l’aide [pour le loyer]. » Quand M. Jeannotte a commencé ses traitements en mai 2010, l’hémodialyse n’était disponible nulle part en Gaspésie. L’an dernier, une unité a été installée à Chandler, ce qui a évité à huit patients de déménager. Quant à M. Jeannotte, des problèmes de cœur lui rendent pour l’instant impossible un nouveau déménagement.
Le cancer, principale cause de déplacement
La principale cause de déplacement des Gaspésiens est le cancer. Au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Côte-de-Gaspé, on évalue que ces cas représentent 25 à 30 % des voyages financés en vertu de la Politique de déplacement des usagers. Même si les quatre hôpitaux de la Gaspésie offrent de la chimiothérapie, les cancéreux doivent subir des examens, des chirurgies et des traitements (de radiothérapie surtout) à Rimouski ou à Québec.
Le ministère de la Santé, via un plan d’effectifs médicaux, précise quels spécialistes la Gaspésie peut recruter. En Gaspésie, il manque encore 20 des 91 spécialistes prévus dans ce plan, dont des neurologues, des anesthésistes, des radiologistes, des psychiatres, un rhumatologue et un gériatre. Autant de raisons de se déplacer pour des Gaspésiens.
Même si 100 % des spécialistes visés étaient recrutés, les Gaspésiens auraient toujours à bouger pour certaines consultations. Par exemple, les visites à un urologue (spécialiste de l’appareil urinaire) sont une cause importante de déplacement. Aucun urologue, un spécialiste en pénurie à l’échelle de la province, n’est toutefois prévu au plan d’effectifs.
Les Gaspésiens doivent-ils se déplacer plus ou moins qu’avant pour recevoir des soins? Le directeur des services hospitaliers au CSSS du Rocher-Percé, Jean St-Pierre, hésite à répondre. « Une chose est sûre, l’hôpital de Chandler offre plus de services qu’il y a 25 ans. Mais depuis, la technologie et les pratiques ont aussi évolué dans tous les domaines », note M. St-Pierre. Aujourd’hui, plein de conditions se traitent, dont le cancer. En d’autres mots, il y a 25 ans, certains cancéreux auraient moins roulé, mais seraient décédés après un court laps de temps. De nos jours, ils doivent se déplacer, mais trouvent souvent la guérison au bout de la 132.