Caroline Jacques, Le Mouton NOIR, Rimouski, juillet-août 2014
Chamanisme, nudité, connexion, santé mentale, tant de sujets qu’il nous est difficile d’aborder en société, mais qui, entre artistes, surgissent assez fréquemment et aisément dans les conversations. L’humain n’est pas fait que de chair et de raison, s’il ose s’ouvrir aux dimensions plus sensibles de son être, il rencontrera alors tout un pan du monde qui s’étend bien au-delà de son corps physique. Le métier d’artiste est de visiter ces zones et de témoigner de ces voyages.
En rencontrant Annie Brunette lors de son vernissage à la bibliothèque Madeleine-Gagnon d’Amqui, nous avons parlé de ces sujets qui nous touchent. Des propos trop souvent relégués à la sphère de l’étrange, du bizarre, du non conventionnel. Pourtant, l’artiste est un chercheur, il se pose des questions, il cherche tant dans le visible que dans l’invisible. Un spéléologue qui explore les tréfonds de l’être en quête de réponses. Puisqu’on lui reconnaît ce rôle de chercheur, ne serait-il pas normal que l’artiste soit autorisé à aborder des questions épineuses qui frôlent l’indicible? Malgré les tabous, l’artiste doit amener au monde le fruit de ses recherches. En ce sens, l’exposition d’Annie Brunette met en scène des réflexions fondamentales.
Annie présente une magnifique exposition dans la galerie de la bibliothèque municipale d’Amqui. La présentation comprend une quarantaine d’œuvres dans lesquelles l’artiste illustre, d’une façon brute et énergique, des sujets en interrelation : humains ou créatures de la nature. Les thèmes sont illustrés avec une grande fougue; la ligne est primitive, simple, large. De multiples couches de peinture créent des fenêtres sur des moments mystérieux tantôt montrés, tantôt cachés, faisant voyager notre imaginaire entre le visible et l’invisible.
Lors du vernissage, nous avons pu voir une vidéo maintenant censurée malgré l’appui du milieu culturel, des médias et du Regroupement des artistes en arts visuels (RAAV). L’installation est au sol, petit écran sur peau d’ours. En boucle, de courtes scènes. Une femme nue, simplement, en forêt, dans les champs, elle échange des regards avec une chèvre, monte à cheval, dirige un quatre-roues. Pour moi, cela évoque la simplicité de l’être dans sa forme la plus pure et simple. L’artiste nous dit sentir une plus grande présence à elle-même et à l’autre en étant dévêtue, ses perceptions s’en trouveraient amplifiées. Comme si le fait d’être là, délestée de ses vêtements, lui permettait de mieux percevoir, d’accéder à une zone de sensibilité « autre ». Qu’être nu augmente la sensation des expériences de rencontre me paraît incontestable. Qu’y aurait-il de mal à vouloir rencontrer le monde sans les atours prescrits par la société? L’humain n’est-il pas la seule créature terrestre à se vêtir d’autre chose que ce que la vie lui a donné? Ne nous sommes-nous pas dénaturés à force de recouvrir nos corps d’étoffe? Selon Annie, souvent, l’humain se coupe de sa sensibilité. Il ne ressent plus et, sans s’en rendre compte, il agit de façon machinale. Annie désire simplement mettre en évidence notre essence : humain, être sensible et dépouillé de tout bien.
Annie peint, questionne le monde par la performance et l’art relationnel. Sa vidéo m’a donné envie de vivre l’expérience de la nature encore plus intensément. Annie est pour moi une éclaireuse; elle a ouvert mes propres horizons sur ma nudité, mes préjugés et mon enfermement corporel. Dans la société, n’est-ce pas le rôle des artistes de nous amener à voir les choses autrement ? Pour ce faire, ne faut-il pas les laisser, sans contraintes, mettre au monde leur unicité et le fruit de leurs recherches afin que leurs œuvres nous enseignent, nous délivrent de nos préjugés et permettent l‘expansion de notre conscience?
Le rôle fondamental de l’art et de l’artiste est malheureusement encore méconnu. Leur rôle va bien au-delà du simple fait de faire du beau. L’artiste est éclaireur, il nous amène à nous éveiller à nos propres univers. Il est un sismographe qui capte les vibrations du monde pour nous en informer. En ce sens, la censure équivaut à défigurer le résultat des recherches et nous prive de savoirs primordiaux.
Les œuvres de l’exposition En berçant mon loup, j’ai rencontré un chasseur, une femme et vous furent créées à l’été 2013 lors du dernier séjour d’Annie Brunette dans la Vallée de la Matapédia et la Gaspésie.