Nicolas Falcimaigne, Le Mouton NOIR, Rimouski, mai-juin 2014
Tout va mal. Caroline Jacques le sait. Extinction des espèces et des écosystèmes, projets pétroliers, peuple endormi… Tout va mal. La militante le dénonce sur toutes les tribunes. Mais l’artiste peint le beau. Le si beau qu’il en est provocant.
Une tempête de neige a salué le vernissage de l’exposition printanière de Caroline Jacques au Musée du Bas-Saint-Laurent, à Rivière-du-Loup. Des baleines sur des toiles géantes, bien à leur place dans la vaste salle. Quelques pas dans le fleuve aux mille vies, si fragiles. « Je peins le beau en espérant que ça aura un effet sur les gens, les conscientisant. C’est comme une prière », explique l’artiste de Saint-Fabien qui travaille au trait vif, expressionniste, découpé et qui manie aussi bien le dripping que l’estampe.
Caroline Jacques a conservé les lignes de cartographie abstraite qui sont sa signature depuis des années. De cette trame où l’humain a laissé sa trace, elle fait émerger la masse organique, comme pour l’en sauver. Ici, c’est la baleine, qui se fond en l’artiste et en nous, pour devenir un autoportrait, un miroir.
« C’est assez »
Témoins discrets d’un art engagé, les titres d’œuvres sont éloquents. L’un d’eux, reproduit en toutes lettres sur la toile, s’écrie : « C’est assez », avec une queue de baleine brandie tel un arrêt-stop. Jeu de mots convenu, message limpide.
« Oculus megaptera », l’œil qui voit toutes les frasques de l’humain, est un œil grandeur nature dans la lignée des toiles sombres de Caroline Jacques, où parfois s’ouvrent trous noirs et tourbillons inquiétants. Une pièce très intérieure, marquante pour qui osera y mirer son cœur. « L’œil de la baleine contient l’histoire du monde », résume l’artiste.
Son « Hommage à Magtogoek », œuvre maîtresse de la série, montre le Saint-Laurent découpé en une mosaïque foisonnant d’animaux. Depuis deux ans, les êtres sont « apparus spontanément dans l’image, même des animaux dont j’ignorais l’existence », confie l’artiste encore étonnée. Le seul humain qui s’y est glissé est un enfant qui semble contempler la biodiversité.
Contre les hydrocarbures
« La baleine était le pétrole du passé », rappelle l’artiste en évoquant l’huile de baleine qui éclairait l’Europe avant l’ère industrielle. « Aujourd’hui, les énergies fossiles sont sa nouvelle menace. » Le chenal migratoire au nord de l’île d’Anticosti a d’ailleurs connu un déversement à Sept-Îles il y a quelques mois.
« Le Bélouga à Montréal », la peau crevassée par l’eau douce, serait le premier tableau de la série Filets, œuvres dédiées à des baleines bien réelles qui ont été victimes de la « civilisation » humaine. À suivre…
À deux pas d’un futur terminal pétrolier
La région de Rivière-du-Loup est actuellement dans la mire du projet Oléoduc Énergie Est de TransCanada, qui entend installer son terminal pétrolier au port de Gros-Cacouna, dans l’aire de reproduction des bélugas.
Rébecca Hamilton, conservatrice au Musée du Bas-Saint-Laurent, croit qu’« au-delà de l’aspect esthétique, les visiteurs comprennent bien le message de l’exposition », réalisée en collaboration avec le Réseau d’observation des mammifères marins (ROMM).
« Caroline est une artiste renommée de la région, reconnue pour son engagement environnemental. Les artistes contemporains sont de plus en plus engagés », explique Mélanie Girard, directrice générale du Musée, à qui il tient à cœur de refléter cette réalité.
Hommage au grand berceau de vie sera présenté au Musée du Bas-Saint-Laurent jusqu’au 8 juin.