Gilles Gagné, GRAFFICI, Gaspésie, mars 2014
Des épiceries de village s’accrochent et résistent à l’attrait des consommateurs pour les supermarchés, mais certaines d’entre elles succombent. L’atmosphère dans le commerce, la diversité des produits, la gestion, la distance des concurrents, la fidélité des citoyens et les prix sont les principaux facteurs différenciant ceux qui passent la rampe de ceux qui échouent.
La fermeture en novembre du Magasin Coop de Saint-Siméon a été suivie le 5 décembre par une assemblée des membres de la Coopérative de consommation de Saint-Alexis-de-Matapédia, où la direction craint pour l’avenir. À Saint-Siméon, le président de la coopérative, Mario Arsenault, voit deux facteurs majeurs ayant forcé la fermeture, une fraude dépassant 100 000 $ perpétrée il y a une dizaine d’années par une ancienne dirigeante, et les habitudes de consommation. « Le sentiment d’appartenance n’est plus le même. À Saint-Siméon, il y a déjà eu deux marchés. Caplan (Coop Bonichoix) a rénové et Bonaventure a bâti un grand IGA pendant qu’on travaillait pour garder ça ouvert. Nous avons fait plusieurs essais de sauvetage, mais une question revenait : y avait-il de la place pour toutes ces épiceries ? »
La réponse était non. Depuis 2000, les tentatives de relance ont été nombreuses à Saint-Siméon, du redressement de fraude qui avait sapé les liquidités de l’entreprise, à des rénovations, en passant par des concours de fidélité, la formation du personnel, le soutien administratif de la Fédération des coopératives en alimentation et de Sobey’s, fournisseur de Bonichoix.
« N’oublions pas l’arrivée du Maxi à New Richmond (en 2005). Les gens font le tour des supermarchés pour les spéciaux. Ils ne regardent pas la dépense d’essence », note Denis Drouin, dernier gérant. « On a même vendu le bâtiment en 2011 pour dégager des liquidités, mais les pertes des trois dernières années en sont venues à bout », ajoute Mario Arsenault. La municipalité avait cautionné un prêt de 25 000 $ et le Centre local de développement avait prêté 30 000 $ pour des équipements, mais les ventes stagnaient. « Les administrateurs bénévoles ont fait ce qu’ils pouvaient », dit-il. À Saint-Alexis, Ginette Morin, du conseil de la coopérative, signale que l’alarme du 5 décembre a enclenché un mouvement de sauvetage. « Ça fait trois ans, sans compter 2012, bonne année à cause du chantier des éoliennes, qu’il y a déficit. Ce n’est pas énorme, 30 000 $ par an, et on a une réserve qui a servi à l’éponger. On est corrects pour quelques années, mais on ne veut pas épuiser ce qui reste de la réserve. »
« Nous avons 251 membres, et il y a 262 familles à Saint-Alexis mais 50 % des membres sont plus ou moins actifs. Ils vont à Campbellton et à Pointe-à-la-Croix pour l’épicerie, et à Listuguj pour l’essence », dit-elle. L’avenir passe par un accompagnement de la Coopérative de développement régional, par un système informatique plus efficace, où les faiblesses de ventes seront identifiées, par un diagnostic du Centre local de développement et par un accompagnement des six employés.
Jocelyne Cleary gère son Magasin général de La Martre avec son conjoint et son fils. Malgré l’âge de la retraite, elle continuera « tant que j’aurai la santé et le goût ». Son secret ? « Je suis amie avec tout le monde. Je vois ma clientèle comme une grande famille […] J’essaie de leur commander [des demandes spéciales], mais je vais avec ma clientèle. J’ai quelques produits régionaux, mais ce qui fonctionne bien, ce sont les produits maison, ma sauce à spaghetti et mes pâtés. J’en fais moins qu’avant. J’en refuse. »
À la Coopérative de Caplan, Jean-Marc Moses et son équipe réussissent à tenir malgré les investissements des concurrents de New Richmond et de Bonaventure. Ils ont dû fermer la succursale de Saint-Alphonse, il y a trois ans. « On a augmenté nos ventes de 10 à 14 % depuis la fermeture du marché de Saint-Siméon. On connaît nos gens. On n’a pas peur de dire bonjour. On fait beaucoup de produits maison, on tient des produits régionaux et on a une bonne équipe. Mais c’est une lutte de tous les jours. On a fait 28 000 $ de surplus sur des ventes de 4 millions de dollars l’an dernier. On n’a pas versé de ristourne », dit-il.