Évelyne Langlois, Le Mouton NOIR, Rimouski, le 3 mai 2011
Durant l’automne 2010, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) invite les 3 000 organismes communautaires qu’il subventionne à signer une convention régissant les modalités de leur financement à la mission qui doit prendre effet à compter du 1er avril 2011 pour une durée de trois ans. Aux représentantes et représentants des organismes communautaires, le MSSS assure nonchalamment que ce protocole de financement ne constitue qu’une formalisation des pratiques actuelles. C’est cependant avec fermeté qu’il entend l’appliquer à la date prévue. Il s’avère très rapidement que la convention proposée outrepasse non seulement les ententes en vigueur, mais également les recommandations du Vérificateur général du Québec. Pour le milieu communautaire, aucun doute n’est possible : le projet de convention personnifie la menace la plus directe de ces dernières années contre son autonomie et ses pratiques alternatives.
Et si ce n’était que de la paranoïa?
D’aucuns diront que les organismes communautaires tendent à devenir paranoïaques dès le moindre soupçon d’atteinte à leur sacro-sainte autonomie. D’autres riposteront que c’est précisément cette liberté de manœuvre qui leur permet de demeurer alternatifs dans leurs réponses aux besoins de la population et de transcender la simple prestation de services d’aide pour converger vers des transformations sociales. Dans le souci de se montrer objectives tout en évitant de prêter flanc aux insinuations d’exercice démagogique, les deux instances nationales représentant les organismes communautaires en santé et services sociaux décident sans tarder de solliciter un avis juridique sur le projet de convention PSOC qui confirme leur analyse initiale : l’application de la convention accorderait aux fonctionnaires du MSSS et des agences de la santé et des services sociaux des pouvoirs unilatéraux les autorisant à exercer un contrôle sur les pratiques des organismes communautaires. Par exemple, le projet de convention donne le droit à un fonctionnaire de supprimer le financement à la mission d’un organisme communautaire s’il considère que ses activités nuisent à l’intérêt public. Or, aucun article ne circonscrit cette notion. Le fonctionnaire aurait donc tout le loisir de déterminer lui-même, à la lumière de ses propres valeurs, ce qui contrevient à l’intérêt public. Par ailleurs, aucun recours n’est prévu pour permettre à un organisme communautaire visé par une telle mesure de se faire entendre ou de contester la décision du fonctionnaire. Est-il utile de rappeler qu’un des volets de la mission des organismes communautaires consiste à provoquer des changements sociaux ? Est-ce à dire que les moyens d’action utilisés pour réaliser leur mission seraient approuvés selon le degré de tolérance d’un fonctionnaire à l’autre ?
Une riposte sans équivoque
Très rapidement, la mobilisation s’enclenche pour dire Non à la convention PSOC. Dans chaque région du Québec, les regroupements organisent des rencontres d’information. Le Mouvement Action Communautaire Bas-Saint-Laurent (MAC) tient deux séances de sensibilisation en décembre 2010 dans l’est et l’ouest du territoire et amorce, en janvier 2011, une tournée dans les huit MRC du Bas-Saint-Laurent dans le but de rencontrer les instances décisionnelles des organismes de la région. Au début de février 2011, 65 conseils d’administration adoptent une déclaration-résolution dans laquelle ils affichent leur intention de ne pas signer la convention du MSSS. Ils proclament également leur volonté de continuer à se conformer aux ententes convenues telles que celles circonscrites dans le tout récent cadre de référence du MSSS sur la reddition de comptes. Rendre des comptes, oui, mais pas à n’importe quelles conditions ! Voilà le message sans équivoque endossé formellement par plus de 1 700 organismes communautaires en santé et services sociaux du Québec. Cette levée de boucliers, renforcée par des appuis provenant d’organisations alliées et de personnalités du monde de l’enseignement et de la recherche, contraint la ministre déléguée aux services sociaux, Dominique Vien, à s’impliquer dans le dossier. À minuit moins cinq le 17 février, date prévue pour la tenue d’une manifestation à ses bureaux montréalais, le MSSS invite les représentants des organismes communautaires à revoir le projet de convention.
Quand solidarité rime avec succès
Une première rencontre du groupe de travail chargé de réviser la convention a lieu le 9 mars 2011. Le MSSS accepte à cette occasion d’examiner la possibilité de repousser l’entrée en vigueur du protocole au mois d’avril 2012. Quelques jours plus tard, le MSSS confirme cette information que le milieu communautaire accueille avec grande satisfaction. Ce gain, ainsi que l’ouverture du MSSS à élaborer une convention cohérente avec les ententes existantes, permettent de croire que les organismes communautaires seront réellement invités cette fois-ci à signer une convention respectueuse de leur autonomie et de leurs pratiques alternatives. Cette première victoire s’explique sans contredit par la rapidité avec laquelle ils ont réussi à créer un vaste mouvement de solidarité. Cependant, les travaux entourant le projet de convention ne font que débuter. Par expérience, les organismes communautaires savent qu’ils doivent maintenir une vigilance de chaque instant. Espérons vivement que le goût du succès leur restera longtemps sur la langue afin qu’ils y reviennent toutes les fois où ils mettront en doute leur force collective!