Nafi Albert et Geneviève Tremblay-Plourde, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2014
Elles ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises déjà alertant médias et gouvernements, mais rien n’a changé, personne ne les a écouté. Pourtant, il y a état d’urgence : les ressources d’hébergement pour femmes sont littéralement pleines à craquer. Chaque nuit, des femmes dorment sur des matelas de fortune dans les salles communes des organismes tandis que des dizaines d’autres se voient refuser l’accès aux refuges, dont les taux d’occupation battent de tristes records. La demande dépasse largement l’offre, nous démontrent les chiffres de notre dossier.
À mesure que le mercure chute, la fréquentation des refuges de la métropole explose. Encore ce soir, comme tous les soirs, des dizaines de femmes en situation d'itinérance se verront refuser l'accès à un moment de répit et à l'occasion de passer la nuit au chaud, faute de place dans les ressources d'hébergement. Cette tendance témoigne d'une réalité préoccupante: l'aggravation de l'itinérance chez les femmes.
«On ne suffit plus à la demande", s'inquiète Manon Monastesse, directrice de la Fédération de ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec. Selon les chiffres de la Fédération, près de 30 femmes sont refusées chaque jour au Québec au moment de leur demande d'hébergement dans une des 36 maisons de l'organisme.
Montréal est la région où l'on recense le plus de ressources pour femmes en état d'itinérance. La situation y est d'autant plus alarmante que ces maisons croulent sous/es demandes d'hébergements. «Le taux d'occupation oscille entre 87 et 115 %, autant dire que les maisons débordent», alerte Mme Monastesse. D'avril à novembre 2013, la Fédération a dû rejeter plus de 9 demandes sur 10 faute de places dans ses 11 maisons de Montréal,
La situation se détériore. Le taux d’occupation dans les ressources d'accueil atteint des sommets record, tout comme la durée moyenne des séjours. Les femmes à risque d'itinérance sont de plus en plus nombreuses, étant victimes d'extrême pauvreté.
À chaque femme son histoire
Si les femmes représentent près d'un tiers des personnes itinérantes, elles constituent le sous-groupe dont la population a le plus augmenté ces dernières années. Jeunes, aînées, mères de famille monoparentale, handicapées, immigrées ou autochtones: il est difficile de dresser un portrait uniforme des femmes itinérantes, car «chaque femme a son histoire et son parcours», explique Micheline Cyr, directrice de l'Auberge Madeleine.
Celles que lion croise endormies sur un bout de trottoir ne représentent que la face visible d'un phénomène social plus complexe. «Souvent les femmes «à la rue» ne se retrouvent pas dans la rue», nuance Lucie Gelineau dans son étude La spirale de l'itinérance au féminin , faisant référence aux formes d’itinérance cachée, qui sont plus souvent le propre des femmes.
En se faisant héberger par des proches, en demeurant dans des logements hors normes ou dans d'autres qui ne garantissent pas leur sécurité, les femmes ont tendance à dissimuler leur situation.
L'absence d'adresse fixe, la toxicomanie, l'alcoolisme, la maladie physique ou mentale, le chômage, la violence ou l'isolement social font partie intégrante du quotidien de la majorité de ces femmes. «C'est pas une vie, déclare Josée Milot, qui a passé 29 ans sur la rue Ontario comme danseuse et vendeuse de stupéfiants. Au début, t'es une proie. Tu fais confiance aux mauvaises personnes. T'es perdue, t'as peur et la réalité arrive vite. Ton hygiène en mange une claque et les journées sont insoutenables.»
Dans la rue, les femmes se battent continuellement pour leur sécurité. «Pour une femme, c'est dangereux d'être dehors à l'année, précise Léonie Couture, directrice générale de La rue des Femmes. L'été, il y a beaucoup plus d’agressions et de violence. L'hiver, il y a le froid et le risque de mourir gelée.»
Sortir de l'itinérance
Parce qu'elles sont très pauvres et qu'elles ont subi diverses formes d'abus, parfois depuis l'enfance, il est primordial de «travailler sur les facteurs fondateurs de l'itinérance. Autrement, on ne fait que mettre un pansement sur la plaie.» prévient Lucie Gélineau. C’est la mission que s'est donné l'organisme La rue des Femmes à ses débuts en 1994 : «Une table, quelques chaises, la volonté de s'attarder au sort des femmes les plus démunies et la conviction qu'avec des moyens de reconstruction adaptés à leurs besoins, les femmes en grande difficulté peuvent reprendre leur vie en main».
À cette ressource, les intervenantes n'ont pas de bureau réservé et tiennent continuellement compagnie aux résidentes. «Nous croyons que de cette façon, un Uen de confiance se crée plus facilement, fait valoir Françoise Jacquart, intervenante à l'organisme. Si nous voulons développer l'autonomie chez ces femmes, il faut qu'elles s'ouvrent à nous. Ça a pris quatre ans avant qu'une résidente réponde au sourire d'une intervenante qui lui servait son repas à chaque jour, mais nous l'avons toujours respectée.»
Santé relationnelle
«L'état d'itinérance est un grave problème de santé relationnelle, explique Léonie Couture. Le premier pas pour se sortir de la détresse est d'être soignée.» Selon elle, il est important de comprendre que la santé relationnelle existe au même titre que la santé physique et mentale. «Des blessures de santé relationnelle, c'est comme des grandes brûlures, ajoute-t-elle, la personne n'est plus capable d'être enlien ni avec elle-même, ni avec les autres. Ça fait trop mal pour qu'elle soit capable de fonctionner »
La rue des Femmes regroupe la Maison Olga et la Maison Dahlia. La Maison Olga comprend un centre de jour, trois lits d'hébergement d'urgence et 20 chambres où les femmes peuvent se loger à court, moyen et long termes. La Maison Dahlia possède 12 appartements-studios supervisés où l'on favorise la réintégration des femmes dans la société en leur offrant une transition vers une vie autonome.
Quand une personne est malade, on ne la laisse pas dehors. Sur ce principe, La rue des Femmes oeuvre à la mise en place de davantage de ressources d'hébergement pour des séjours prolongés accessibles 24 heures sur 24. L'organisme, qui ne connaît jamais de périodes creuses, mène présentement une campagne de financement pour ouvrir une troisième maison d'hébergement en juin. L'association défend une politique d'intervention axée sur la reconstruction des personnes et leur réinsertion sociale, car «enlever le logement à une personne, c'est aussi lui enlever son humanité et sa dignité», témoigne Mme Couture.