Sophie Gillig, L’itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2014
Omen, Labrona, Paria Crew, ces noms vous font penser à un plat exotique? Mais non, ce sont les artistes urbains qui ont fait souffler un vent de fraîcheur sur le boulevard Saint-Laurent l'été dernier, lors du Festival MURAL. Une initiative parmi beaucoup d'autres pour se réapproprier l'espace public et forger une identité artistique à Montréal.
«Certains murs du boulevard Saint-Laurent avaient un grand besoin d'amour!», s'exclame André Bathalon, membre fondateur de LNDMRK (prononcer landmark) et organisateur du Festival MURAL Avec ses comparses Yan Cordeau, Alexis Froissart et Nicolas Munnico, il s'est promené dans plusieurs villes du monde pour participer à des événements artistiques. «Nous avons découvert que plusieurs rassemblements créatifs prenaient vie autant dans les grands centres urbains que dans les quartiers défavorisés.»
Sans comparer le boulevard Saint-Laurent à un bidonville, le quatuor s'est aperçu que des quartiers tels que Wynwood à Miami, semi-industriels, peu fréquentés, voire dangereux, ont été embellis et revitalisés grâce au travail d'artistes urbains. «De plus en plus d'artistes québécois viennent peindre sur les murs de ce quartier. On s'est alors demandé pourquoi Montréal n'aurait pas sa propre initiative annuelle d'art mural. Il n'en a pas fallu plus pour que nous mettions la machine en marche.»
Réaliser des murales pour embellir Montréal est un objectif partagé par MU, organisme à but non lucratif qui promeut l'art public dans la région métropolitaine. «Nous avons un double objectif artistique et social, explique Elizabeth-Ann Doyle, directrice générale et artistique de MU. On amène l'art dans la rue et on soutient les artistes, mais on prétend aussi à ce que les murales servent à entreprendre des projets de rénovation dans les arrondissements.»
De la diminution du vandalisme à la végétalisation du site, en passant par l'augmentation de la propreté dans le quartier, les effets d'embellissement par les murales ne sont pas négligeables. MU propose même un atelier mural jeunesse pour les adolescents. «L'aspect communautaire fait partie intégrante de notre ADN. C'est dans notre mandat d'amener à faire réfléchir sur l'espace public et d'amener les jeunes à faire leur propre murale au sein de leur communauté», insiste Elizabeth-Ann Doyle.
L'art public à Montréal
Outre les murales, Montréal est-elle une bonne élève en matière d'art public? Pas mal, mais elle pourrait faire mieux, si l'on en croit les acteurs du milieu. «Bien qu'à mon avis l'espace urbain pourrait toujours bénéficier davantage d'intégration artistique, je suis satisfait des initiatives prises par la Ville de Montréal, affirme André Bathalon. Le travail
d'organisations comme Dare-Dare, la SAT ou MASSIVart vient contribuer à gonfler le nombre doeuvres d'art dans la ville de Montréal.» Manuel Bujold est le président cofondateur de Mouvement Art Public/Make Art Public (MAP). Ce collectif utilise les espaces publicitaires inutilisés pour exposer les oeuvres d'artistes engagés. Il nuance : «C'est sûr que quand on se compare, on se désole! Plein de villes à travers le monde ont un intérêt beaucoup plus grand pour l'art public. C'est le cas de Chicago avec son Cloud Gate.
Nous avons participé à une consultation avec le Bureau d'art public de la Ville de Montréal afin de leur signaler les lacunes sur le sujet. Il y a un manque criant d'investissements dans le domaine.» Francyne Lord, chef de section du Bureau d'art public de Montréal reconnaît qu'il y a du rattrapage à faire pour faire de Montréal une capitale artistique internationale. «Nous avons adopté en 2010 le cadre d'intervention en art public qui vise à acquérir, conserver, promouvoir et faire connaître l'art public à Montréal. En partenariat notamment avec le milieu des affaires, nous avons comme engagement de lancer et réaliser tous les deux ans un projet artistique identitaire et significatif pour les Montréalais avec des artistes de renommée internationale.»
Une identité artistique unique
Forte d'une collection de 300 œuvres d'art public, Montréal est notamment connue pour deux d'entre elles: L'Homme de Calder, sur l'ile Sainte-Hélène, et la statue de l'ange qui domine le monument George-Étienne Cartier au pied du Mont-Royal. Lorsqu'on lui demande si ces œuvres ne s'adressent pas plus aux touristes qu'aux Montréalais, Francyne lord rétorque: «On peut effectivement en faire la remarque, mais prenez l'événement Piknic Electronik qui se passe en-dessous du Calder. Ce sont des Montréalais qui choisissent de faire la fête à cet endroit -là. Une association sociale s'est faite par le Piknic et je ne suis pas sûre qu'ils auraient encore lieu à cet endroit si L’Homme de Calder avait été déplacé.» Selon André Bathalon, Montréal possède une saveur artistique «unique» insufflée par son multiculturalisme, ses influences populaires et son climat hivernal. «Montréal a tout pour devenir une capitale artistique internationale. Je crois personnellement que de rallier la majorité des événements en arts visuels sur la même période contribuerait à créer un pôle d'attraction pour les touristes, les galeries et les musées.
Une concentration de cette ampleur et de cette qualité viendrait positionner Montréal comme la destination incontournable en arts visuels et la ferait briller à l'international autrement que par son Grand Prix et ses festivals musicaux.»
Une idée que partage Manuel Bujold : «Montréal mise sur le divertissement et non sur les artistes locaux. Ce serait bien de créer un quartier dédié à la créativité où le milieu artistique local serait favorisé. Avoir notre propre quartier nous procurerait un sentiment de fierté et nous permettrait d'être reconnus.»