Catherine Proulx-Lemay avec La rue des Femmes

Joanie Pietracupa, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2014

On la connaît mieux comme Michèle « Miche » Paquette, la mère blessée d’Unité 9. Ou comme Claire de L’auberge du chien noir, Violaine de Toute la vérité et Brigitte d’Aveux. Catherine Proulx-Lemay, c’est une pléiade de personnages plus grands que nature, à la fois très différents et très près d’elle. Rencontre exclusive avec une actrice qui a la tête sur les épaules, le cœur sur la main et les deux pieds sur terre.

Elle pousse la porte du Café L’ltinéraire avec quelques minutes de retard, l'air pressé: «Désolée, je sors d'une audition! On m'a demandé de pleurer, alors excusez mes yeux bouffis.» Son regard est tout ce qu'il y a de plus lisse et reposé: pas une trace de bavure de mascara en vue. Peu maquillé, son joli visage s'illumine lorsqu'elle sourit. Une vraie de vraie comédienne sur qui on peut lire les nombreuses émotions en un froncement de sourcil ou en un retroussement de lèvres. «Alors, on commence?»

 

Qu'est-ce qui t'a poussée à devenir comédienne?

C’est un peu un hasard, en fait. Je ne m'enlignais pas du tout pour faire ça. Enfant, j'étais plus attirée par le journalisme et les communications. Quand j’ai fini mon secondaire, je suis allée au Conservatoire Lassalle où j'ai fait des études en science de

la parole partagées en deux volets: communications et théâtre. C'est là que j’ai touché au jeu pour la première fois et que des professeurs m’ont suggéré de faire des auditions pour le Conservatoire d’art dramatique de Montréal. À ma grande surprise, j’ai été acceptée. J’y ai étudié trois ans, puis j'ai gradué. Aujourd'hui, ça fait 15 ans que j'ai mon diplôme et que je fais ce beau métier. Jai été très chanceuse: j'ai toujours travaillé, et sur des beaux projets comme Une grenade avec ça?, Aveux ou Unité 9.

 

Parlant d'Unité 9, qu'est-ce qui t'attire et te rebute dans le personnage de Michèle?

Michèle, c’est une intense, une impulsive, une passionnée. Je me retrouve un peu là-dedans. En même temps, j’ai l’impression qu'au niveau de la maturité, elle a 15-16 ans. C’est vraiment comme une ado, et c’est comme ça que j’ai abordé le personnage, avec une certaine naïveté et une incapacité à prendre le blâme, à reconnaître ses torts. C’est aussi une amoureuse et une maman, comme moi.

 

Vu son caractère unique et pas toujours heureux, arrives-tu à la jouer sans la juger?

Pas le choix, faut toujours endosser ses personnages! (rires) Sans blague, je l'aime profondément et j'ai un plaisir fou à la jouer. Mais c’est sûr que comme tout le monde, je la trouve souvent méchante et «gratuite » dans ses commentaires, même s'il est facile de comprendre qu’elle s’est coupée de ses émotions en se coupant de ses enfants.

 

Qu'est-ce que ce rôle-là t'a apporté?

Il a complètement changé ma vie. Surtout au niveau de la reconnaissance des gens, de mon milieu et du public. Les acteurs n’osent souvent pas se féliciter mutuellement, par peur d’avoir l’air trop fanatique, trop groupie. Dans le cas d'Unité 9, c’est surprenant de voir à quel point les autres artisans ont été généreux dans leurs commentaires positifs. Aussi, je le sens dans le regard des gens dans la rue, qui me reconnaissent et m’apprécient. Surtout les parents, qui comprennent mieux l'essence de Michèle. Je peux te confirmer que dans mon cas, il y aura un «avant Unité 9» et un «après Unité 9».

 

Pourquoi avoir décidé de devenir porte-parole de La rue des Femmes?

Pour être bien honnête, il y a un an, je ne connaissais pas du tout La rue des Femmes. C'est une dialoguiste sur le plateau de tournage d'Unité 9 qui m'a parlé de la cause et du fait qu'ils se cherchaient une porte-parole. Puis, j'ai rencontré Léonie [ndlr: Léonie Couture, directrice générale et fondatrice], une femme d’une grande simplicité et d'une grande humanité qui m'a fait visiter la Maison Wolfe, et je suis tombée sous le charme. Je trouvais que ça donnait un sens à mon métier, une sorte de continuité entre le travail que je fais et mon très, très petit apport à cette cause-là.

 

Qu'as-tu appris sur l'itinérance en t'engageant auprès de cette cause?

Qu'il y a beaucoup plus de femmes qu'on le pense qui en souffrent, et qu'on croit souvent à tort que c’est une question de pauvreté. Léonie m'a enseigné une toute autre approche: la pauvreté découle de l'itinérance, mais pas nécessairement le contraire. Souvent, les gens deviennent itinérants parce qu’ils sont malades ou qu'ils ont eu des blessures dans leur enfance. Je trouve ça super intéressant et touchant, cette idée de santé relationnelle. Et puis, je suis impressionnée par les femmes qui travaillent à La rue des Femmes. C'est un monde un peu épeurant à apprivoiser, l'itinérance. Et je suis bien contente d'avoir la chance de le faire grâce à cet organisme.

 

Sens-tu que ta contribution comble un manque au niveau de ton engagement social?

Je pense que le manque est encore là. Je fais un travail que très souvent, malgré les témoignages d'amour sincères et touchants du public, je ne peux m'empêcher de trouver un peu futile. Mon métier, c'est de jouer. Comme un gamin, quoi! Je ne peux donc pas dire que je trouve que je suis très engagée, ni politiquement ni socialement. Pas assez, compte tenu de l'intérêt que j'ai, en tout cas. Peut-être qu'un jour je mettrai ce plan-là plus de l'avant dans ma vie, que je lui ferai plus de place.

 

Lis-tu L'Itinéraire?

Oui, je me fais un devoir de lire le magazine. Il me semble que tout le monde devrait acheter L'Itinéraire. Personne ne peut être insensible à l'itinérance. Moi la première, à chaque fois que je me retrouve au coin d'une rue avec un «quêteux», j'ai envie de lui donner de l'argent, mais je sens bien que ce n'est pas nécessairement la bonne façon de l'aider. Maintenant. J'y pense plus et je lui offre un café avant d'entrer chez Starbucks, ou je lui apporte des barres tendres et des pommes. Se procurer L'Itinéraire, c'est un geste encore plus concret, un don encore mieux placé. Même si tu l'achètes une fois seulement, c'est mieux que rien. Ça aide à se sentir bien et à se voir une meilleure personne. Je sens que tranquillement, je me sensibilise à ça, ou du moins, que je m'ouvre à cette sensibilisation. Et puis, j'ai même un camelot favori, Jean-Guy Deslauriers, de qui j'achète souvent mes exemplaires dans mon quartier sur la rue Masson!

 

Quels rôles ont l'amour et la famille dans ta vie?

Je pratique un métier où il est très important de garder un équilibre, parce que c'est une vie faite de montagnes russes, où il y a des moments où on travaille beaucoup, et d’autres pas du tout. Essayer de rester sain et équilibré, c'est la recette. Et avec les années de métier qui rentrent, c'est quelque chose que j'arrive à faire de mieux en mieux, me garder des moments en famille avec mon chum et mes deux fils. Parce qu'à cinq et neuf ans déjà, je peux te dire qu’ils grandissent vite! Et je ne voudrais jamais regretter, à 50 ans, d'avoir manqué quelque chose dans la vie de mes enfants. Je suis donc un peu plus capable de dire non aux nouveaux projets, même si mon amoureux [ndlr: l'acteur David Savard] te dirait que ce n'est pas vrai! (rires)

 

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