Geneviève Gélinas, GRAFFICI, Gaspésie, octobre 2013
Il y a trois ans, Pêches et Océans Canada déclarait « excédentaires » 163 phares du Québec et affirmait sa volonté de s’en départir. Depuis, des individus et des groupes se sont retroussés les manches pour prendre en charge le phare de leur communauté. Toutefois, le sort d’une partie de ces sentinelles de bord de mer demeure incertain.
Le phare de Cap-d’Espoir est la première chose que voit Raymond Lalonde par sa fenêtre en se levant le matin. Il habite l’ancienne maison du gardien depuis près de 20 ans et se considère en quelque sorte comme le gardien actuel. « C’est notre phare, on l’a adopté », résume-t-il.
Pour M. Lalonde, le phare est bien plus qu’une structure de béton. « C’est ce qui nous protège, ce qui nous ramène à la maison. » Il sait bien que les navigateurs d’aujourd’hui, munis de GPS et de radars, s’en passent. Mais notre monde a besoin de « plans B », explique-t-il en évoquant la tragédie de Lac-Mégantic. « Un navire peut perdre ses moyens de navigation modernes, à cause d’un feu à bord, illustre-t-il. On est un peu téméraires de tout fermer et de tout oublier. »
M. Lalonde a fondé l’Association de sauvegarde du phare de Cap-d’Espoir – « l’association, c’est essentiellement moi », avoue-t-il – et est prêt à l’acquérir. De toute façon, il l’entretient déjà. Ces dernières années, l’association a décapé le phare, l’a repeint et a enlevé le ciment qui s’effritait du tablier du balcon. M. Lalonde, qui fait déjà visiter la structure à l’occasion, souhaite rendre les lieux accessibles aux touristes.
Cher au coeur de Madeleine
« Avec le phare, tu touches à l’émotion des gens, tu vas chercher creux. Et si tu l’enlèves, les touristes vont passer tout droit! », lance Kamy Jalbert, l’une des administratrices de l’Association touristique Sainte-Madeleine.
Depuis 1988, l’organisme fait visiter le phare centenaire de Rivière-Madeleine aux passants. Il accomplit actuellement des démarches pour que la municipalité le reprenne du gouvernement fédéral. L’association est prête à l’administrer. « Ça ne nous fait pas peur. On savait que ça s’en venait », dit Arlette Fortin, directrice générale de l’association.
Il faudrait 100 000 $ pour « remettre le phare propre », estime Mme Fortin. « Pêches et Océans va nous en donner une partie, espère-t-elle, et on a un projet de «levée de fonds». »
À La Martre, le phare à ossature de bois est également entre bonnes mains. Qu’il y passe un électricien ou un peintre de Pêches et Océans, il est sûr de trouver sur ses talons Yves Foucreault, qui s’assure du respect de l’authenticité du phare. Pour le directeur du Musée des phares de La Martre, le transfert à la corporation locale va de soi. « Nous, ça fait 32 ans qu’on s’en occupe, rappelle-t-il. On a développé un musée unique au Canada. »
Le signal lumineux de La Martre demeurera en fonction, foi d’Yves Foucreault. «Essayez d’éteindre un phare quand ça fait 107 ans que les gens voient la lumière tourner. Vous allez rendre du monde malade! », lance-t-il.
Pas de nouveau phare pour Parcs Canada
Parcs Canada n’a pas l’intention d’acquérir le phare de Cap-des-Rosiers, situé près des limites du parc Forillon, ni de celui de cap Gaspé, pourtant enclavé sur son territoire.
Sur son site web, Parcs Canada fait la promotion du phare de Cap Gaspé parmi les «trésors culturels » de Forillon. Le phare de 1950 à base octogonale, en béton armé, est situé au bout de la péninsule de Forillon, au coeur du parc. Quant au phare de Cap-des-Rosiers, le plus haut du Canada, il date de 1857 et est classé Lieu historique national. Les deux bâtiments appartiennent à Pêches et Océans Canada, qui souhaite les céder. Ce ne sera pas à Parcs Canada, si on se fie aux réponses obtenues par GRAFFICI. Le directeur du parc Forillon ne nous a pas accordé d’entrevue. Parcs Canada a envoyé une réponse par courriel : « Parcs Canada doit concilier son engagement envers les phares patrimoniaux et son engagement envers les autres endroits patrimoniaux importants dont elle assure la garde au nom de toute la population canadienne, écrit l’Agence. Nous ne ferons donc l’acquisition d’aucun phare excédentaire susceptible d’avoir une valeur patrimoniale et concentrerons nos ressources sur les phares déjà sous notre administration qui comprennentcinq lieux historiques nationaux. »
Ottawa propose d’accorder un statut patrimonial à certains phares, en autant qu’un particulier, un organisme ou une municipalité dépose une pétition, puis un plan d’affaires en vue de l’acquérir.
Un organisme ontarien, Save Our Lighthouses, a fait signer une pétition en faveur du phare de Cap Gaspé. « J’ai contacté des gens de la place par courriel », explique le directeur général de l’organisme, Marc Seguin, qui a fait de même pour 64 autres phares canadiens. Il souhaite qu’un organisme local prenne le relais pour l’étape du plan d’affaires.
Le Site historique maritime du phare de Cap-des-Rosiers, dont le comité qui fait visiter le bâtiment, a fait signer une pétition semblable pour son phare, mais répugne à l’acquérir. Une inspection visuelle menée il y a déjà six ans par un ingénieur de Pêches et Océans évaluait à un million et demi de dollars les réparations à y faire, rapporte le président du site, Jean-Paul Salaün. Un poids trop lourd à porter pour un organisme comme le sien, juge-t-il.
Qu’arrivera-t-il aux phares qui ne trouvent pas preneurs? Ils demeureront la propriété de Pêches et Océans, qui n’a aucun plan pour les démolir, assure Andrew Anderson, gestionnaire de biens immobiliers pour le ministère. Cependant, « si la condition des phares n’est plus sécuritaire pour nos employés, il faudra faire certaines analyses et opter pour des réparations ou un remplacement », ajoute-t-il.
Marc Seguin est plus pessimiste. « Si on se fie au passé, Pêches et Océans pourrait finir par trouver ça trop cher, construire une tour d’acier, laisser le phare tomber en ruines ou le démolir s’il devient un danger public. »
Pêches et Océans dispose d’un fonds d’environ un million de dollars annuellement pour faciliter le transfert des phares aux communautés. Le ministère possède 970 phares dits « excédentaires » au Canada et espère en céder 20 à 30 par an grâce à cette somme. La municipalité de Port-Daniel–Gascons serait prête à acquérir le phare du village, mais les propriétaires de la pointe où il s’élève ne l’entendent pas de cette oreille.
Le cas de Port-Daniel
Le phare de Port-Daniel Ouest est enclavé sur le terrain d’Alice et Rod Hayes, qui y louent les Chalets Chaleur. « La famille de mon mari a rendu service à la communauté en 1906 en permettant la construction du phare », estime Mme Hayes. Maintenant que Pêches et Océans Canada ne juge plus le phare utile, les Hayes veulent ravoir le bout de terre où il s’élève. Ils n’ont pas l’intention d’entretenir la structure ni de la rendre accessible au public. « Il n’y a rien à préserver, il tombe en morceaux, dit Mme Hayes. [Et pour l’accès], c’est une question de responsabilité. La falaise est dangereuse. »
La municipalité était prête à acquérir le phare et à investir quelques milliers de dollars par an pour l’entretenir. L’endroit aurait été un attrait touristique et un lieu de pique-nique. Toutefois, Pêches et Océans a demandé à la municipalité d’obtenir d’abord un droit de passage auprès des Hayes, ce que le couple a refusé.
Le maire Maurice Anglehart n’a pas l’intention de lutter pour le phare. Il compte plutôt sur le temps pour faire son oeuvre. « Le phare est bâti pour durer; ces gens-là ne sont pas éternels », dit-il.