Ianik Marcil, L’Itinéraire, Montréal, le 15 septembre 2013
Des catastrophes récentes comme l'explosion d'un train de pétrole à Lac-Mégantic (47 morts) ou l'effondrement d'une usine de vêtements au Bangladesh (230 morts) amènent des questions essentielles sur la responsabilité sociale des entreprises – mais aussi, sur la nôtre, comme consommateur et citoyen.
Où commence et où s'arrête la responsabilité d'une entreprise dans ces cas? Le pétrole qui a explosé à Lac-Mégantic appartenait à une entreprise américaine, était transporté par la MMA, destiné à une entreprise canadienne. Irving, afin d'être finalement vendu à l'étranger. Quelle entreprise est responsable, dans cette chaîne?
De la même manière, est-ce que Loblaws, qui achetait des vêtements dans cette usine au Bangladesh, a une responsabilité dans la catastrophe? De plus en plus, on considère que les différentes entreprises, dans la chaîne de distribution, se partagent cette responsabilité, Par contre, il semble difficile d'instaurer des mécanismes pour obliger les entreprises à assumer les conséquences de cette responsabilité.
C’est que la pensée économique dominante considère que ce sera le «marché» qui sanctionnera t'entreprise : si les consommateurs considèrent qu'une entreprise adopte un comportement inadéquat (envers ses travailleurs ou l'environnement, par exemple), ils «sanctionneront» l'entreprise en boycottant ses produits. Or il y a deux problèmes à cette vision des choses. D'une part, les consommateurs disposent généralement de cette information trop tard, une fois la catastrophe survenue. D'autre part, les conséquences de ces actions ne nous touchent pas uniquement comme consommateurs, mais aussi comme citoyens. C’est la raison pour laquelle, collectivement, nous contraignons l'activité des entreprises, sous la forme de multiples lois et réglementations. Toutefois, il me semble qu'il reste un problème majeur : on demeure dans une logique selon laquelle l'entreprise doit être contrainte, par le marché ou par la loi, pour qu'elle adopte un comportement «socialement responsable».
Car cela ne change pas grand-chose : au final. C'est le «marché» au sens large qui sanctionnera – ou non – le comportement de l'entreprise ; rien ne garantit que les normes de responsabilité sociale de l'entreprise soient suffisantes ni, surtout, que toutes les entreprises adopteront des comportements socialement responsables.
Que faire alors? Ne pas relâcher la pression sur nos élus pour qu'on continue à contraindre les entreprises à agir correctement. Mais aussi agir comme consommateur. Même si nous prenons connaissance souvent trop tard des conséquences du comportement des entreprises, faute de transparence, la puissance inédite des moyens de communication actuels peut agir en notre faveur. De nombreux cas d'utilisation des médias sociaux le démontrent régulièrement : la vitesse de transmission de l'information permet de faire pression sur les entreprises.
Mais en bout de piste, cela démontre que la frontière entre le privé et le public n'est pas aussi nette qu'on la présente généralement: une entreprise privée ne vit pas dans un monde séparé du reste de la société. Nous avons un devoir, comme citoyens bien avant plus que comme consommateurs, d'exiger de la part de leurs dirigeants qu'ils prennent soin des humains et de leur environnement.