Gabriel Nadeau-Dubois, L’Itinéraire, Montréal, le 15 août 2013
Lorsque j'ai appris ce qui s'était produit à Lac-Mégantic le 6 juillet dernier. J’étais à Fort McMurray en Alberta, centre névralgique du plus grand projet industriel au monde: les sables bitumineux. Vue de là. La tragédie du 6 juillet prenait une signification claire: qu’il soit conventionnel ou non, transporté par train, camion, bateau ou pipeline, le pétrole tue.
De retour au Québec, je suis frappé par le discours totalement inverse des partisans des pipelines. Certains éditorialistes affirment en toute candeur que les événements viennent plaider en faveur des projets de pipelines actuellement à l’étude. Il s’agit une pente bien glissante. Soyons clairs: les pipelines ne sont pas moins dangereux que les trains. Un rapport de l'Agence internationale de l’énergie rappelait récemment qu’ils ont déversé trois fois plus de pétrole dans les huit dernières années que les wagons-citernes. Plus de pipelines, ce n'est pas moins de fuites, ce n'est pas moins de pétrole sur notre territoire.
Il faut prendre la mesure de l’opportunisme dont font actuellement preuve les avocats des pipelines. La tragédie de Lac-Mégantic est une occasion trop belle pour qu'ils la laissent passer. Or, les projets de pipelines dont il est actuellement question précèdent de beaucoup cet événement et sont fondamentalement motivés par des intérêts passablement moins nobles que la protection de l'environnement et des communautés vivant en bordure des chemins de fer.
Derrières les tuyaux, les sables
Les pétrolières albertaines veulent doubler leur production d'ici 2020 et la tripler d'ici 2030. Pour ce faire elles doivent impérativement augmenter leur capacité de transport. On ne transporte pas cinq millions de barils de pétrole lourd par jour avec un baluchon. Les Britanno-Colombiens ont récemment bloqué – pour le moment – le controversé projet Northern Gateway, et Barack Obama ne cesse de repousser son approbation de Keystone XL. Il ne reste donc plus que l'Est : TransCanada et Enbridge font les yeux doux au gouvernement québécois afin d'être autorisés à faire transiter 850 000 barils de pétrole par jour à travers la Belle Province.
Il n'y a pas de pétrole propre, mais il y en a du plus sale que les autres. Celui que l'on fabrique autour de Fort McMurray est le pire. La production de ce pétrole extrême émet entre 3 et 5 fois plus de gaz à effet de serre que le pétrole «conventionnel» que nous consommons à l'heure actuelle. Chaque jour les installations pétrolières albertaines émettent en gaz à effet de serre l'équivalent de 15 millions de voitures. Collectivement, nous ne pouvons-nous permettre d'encourager l’expansion d'une telle catastrophe écologique et sociale en permettant le passage de ces pipelines.
Rendons-nous à l'évidence : il n'y a pas d'avenir dans le pétrole. Sortons-en. Cela ne se fera pas facilement et surtout, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Mais il faut commencer, maintenant. Par ailleurs, le Québec est probablement moins désarmé que l’on ne le croit pour faire face à ce défi. Nous avons des institutions politiques et économiques puissantes : la Caisse de dépôt et de placement en est une, Hydro-Québec en est une autre. Servons-nous en. «Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, mais parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles», disait un célèbre tragique latin. Et si on osait?