Bastien Potereau, L'Itinéraire, Montréal
Bernard Duhaime est un homme occupé et passionné. Entre ses réunions et les cours de droit qu’il donne à ses étudiants de l’UQÀM, il prend le temps de me recevoir.
À lui seul, ou presque, il a réussi à faire condamner un pays, la République dominicaine. Mais comment fait-on changer les choses à 3 000 kilomètres de Montréal?
La frontière entre la République dominicaine et Haïti est perméable. C’est la seule frontière terrestre d’Haïti. Une rivière sépare les deux États, elle porte le nom de «rivière du Massacre». Les ponts sont gardés par la milice dominicaine et font office de douane.
En juin 2000, la rivière n’aura jamais si bien porté son nom. Un groupe composé d’une trentaine de migrants haïtiens traverse la rivière sans s’arrêter au poste de contrôle. La réponse de l’armée dominicaine est singulière et ne se fait pas attendre. Le véhicule essuie une salve nourrie de tirs de mitraillette. S’ensuit une poursuite sur les routes abîmées. La chasse s’arrête lorsque le conducteur haïtien perd le contrôle du camion.
Certains passagers tentent de s’enfuir, mais les militaires les exécutent. Bilan : sept morts. Le reste du groupe, dont la majorité est blessée, est fait prisonnier. Dès le lendemain, l’armée leur donne le choix : soit ils sont condamnés à des travaux forcés, soit ils donnent tout leur argent et sont expulsés sur le champ. Ils choisissent la deuxième solution.
L’expulsion collective, totalement arbitraire, a été décidée sans l’approbation d’une autorité judiciaire compétente. Une organisation communautaire locale a porté plainte à la police locale civile, mais très vite, l’armée a récupéré le dossier. Le résultat de l’enquête était donc d’ores et déjà truqué. Les militaires ont tous été acquittés. Deux ONG, une de chacun des pays concernés, ont alors demandé de l’aide à Bernard Duhaime.
UNE MAGISTRALE LEÇON DE DROIT
Pourquoi aller chercher l’aide d’un professeur de droit québécois? Parce que Bernard Duhaime est bien plus qu’un enseignant. Il s’implique pour la défense des droits de l’homme depuis 1996. Il a travaillé avec des entités intergouvernementales et pour des organismes paradémocratiques.
Dans le cadre de cette affaire, il était assisté du GARR (Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés), de la CCDH (Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme), d’autres avocats et de certains de ses étudiants de l’UQÀM. «Ils ont fait beaucoup de recherches sur la jurisprudence, sur ce qui s’est déjà passé ailleurs. Ils ont aidé à la rédaction, à préparer des interrogatoires», raconte-t-il.
En novembre 2005, la Clinique internationale de défense des droits humains de l’UQÀM (CIDDHU) saisit les instances du système interaméricain de protection des droits de la personne. «On y est allé avec plusieurs motifs : racisme, xénophobie, violation du droit à l’égalité et à la protection judiciaire, entre autres», s’exclame Bernard Duhaime.
Le professeur s’est rendu plusieurs fois en République dominicaine pour assister les victimes et les ONG. Il s’est également présenté au procès qui s’est déroulé au Costa-Rica, le 21 juin dernier.
Finalement, le 24 octobre, la décision de la Cour tombe : la République dominicaine est jugée coupable d’avoir attaqué, exécuté et blessé arbitrairement une trentaine de migrants haïtiens. Le tribunal condamne le pays pour de nombreuses violations des droits de la personne. La République dominicaine doit verser plusieurs centaines de milliers de dollars de réparations aux victimes et à leurs représentants. Cette décision constituera par ailleurs un précédent important en Amérique concernant les
droits des migrants.
Le professeur Duhaime est enchanté par cette victoire. «Pour une fois, la communauté haïtienne a de quoi se réjouir, malgré la tragédie de cette affaire. Ces gens ne sont pas morts en vain, la protection des droits des migrants a grandement évolué.»
Bernard Duhaime, le professeur justicier
Le professeur Duhaime conseille plusieurs organisations de défense des droits de la personne et des peuples autochtones, des avocats et défenseurs des droits humains, des organisations internationales ainsi que des États. Il a été avocat au Secrétariat de la Commission interaméricaine des Droits de l’homme de l’Organisation des États américains (OEA). Après avoir formé des avocats, des juges ou encore des hauts fonctionnaires un peu partout en Amérique latine, il décide en 2004 de devenir professeur. «Si, chaque année, j’arrive à mener une trentaine d’étudiants à devenir des défenseurs acharnés des droits de l’homme, ce sera ma plus grande réussite», affirme-t-il.