Ces fantômes sur les murs

Anne Michèle C.-Vermette, L’Itinéraire, Montréal

Sur la rue Masson, dans le quartier Rosemont, un mur est démoli. Derrière ce mur, un deuxième, caché, affiche une vieille publicité peinte de cigarettes Old Chum. Un trésor est découvert, il attendait depuis plusieurs années de voir la lumière du jour.

Les wall-dogs étaient «[…] une espèce unique, une combinaison de la connaissance de la lettre tracée, de la résistance physique du grimpeur et de l’agilité d’un acrobate de cirque.

Encore aujourd’hui, il est possible d’apercevoir ces publicités d’une autre époque sur certains murs de Montréal. Elles sont considérées comme de l’art par certains et, assurément, elles font partie du patrimoine commercial. Selon Philippe Lamarre, designer graphique, fondateur du magazine Urbania et passionné de vielles publicités, tout ce qui est ancien suscite un intérêt artistique du fait que c’est devenu vintage. «Peut-être qu’à l’époque les gens trouvaient ça horrible, estime-t-il, mais aujourd’hui, comme il y en a moins, ça a un cachet particulier. Leur qualité est intrinsèquement liée au fait que ce sont des souvenirs du passé.»

Avec le temps, les intempéries en ont détruites plusieurs, d’autres ont été effacées ou encore leurs murs porteurs ont été détruits. Il est tout de même possible d’en apercevoir plusieurs, dont celle sur l’édifice du Belgo dans le quartier des spectacles ou celle de la Commercial Union Assurance Company, sur la rue Saint-Jacques à l’angle de McGill.

Ces grandes murales étaient peintes par des artisans dont c’était le métier. C’était en quelque sorte l’équivalent du métier de graphiste aujourd’hui. Des écoles spécialisées donnaient des formations pour apprendre la typographie à la main et la reproduction des lettres. Les marchands faisaient appel à ces artisans. Aux États-Unis, ils étaient surnommés wall-dogs. Denis Paquet, consultant en patrimoine commercial, affirme dans l’ouvrage De la pub plein les murs auquel il a contribué, que les wall-dogs étaient «[…] une espèce unique, une combinaison de la connaissance de la lettre tracée, de la résistance physique du grimpeur et de l’agilité d’un acrobate de cirque.»

«C’est un art perdu. De nos jours, tout se fait à l’ordinateur», se désole Philippe Lamarre. Avec le temps, les techniques ont évolué et ce métier s’est pratiquement éteint. Rares sont ceux qui pratiquent encore cet art comme gagne-pain. «Avec l’arrivée des imprimantes à jet d’encre, ça a été la fin des peintres manuels», explique Frédéric Metz, graphiste et professeur à l’UQÀM. La technique est désormais plus rapide, ce qui correspond aux attentes de notre époque. «Le rapport au temps d’aujourd’hui est complètement différent de celui des années 40 et 50. Tout va maintenant à la vitesse de l’éclair», soutient Réjane Bougé, auteure du livre Sur les murs d’un Montréal qui s’efface.

Certaines publicités ornent des quartiers depuis des années. C’est pour cette raison que l’idée d’écrire un livre ayant comme trame de fond ces affiches a germé dans l’esprit de Réjane Bougé. Fille d’épiciers du plateau Mont-Royal, elle éprouve une sensibilité pour ces murales, qui lui rappellent des marques de commerce présentent dans l’épicerie de ses parents. «Il y a une corde de résonnance chez les gens. On s’y attache à force de les voir. Quand on les détruit et qu’elles sont belles, ça fait encore plus mal de les perdre», observe Philippe Lamarre.

Aujourd’hui, la conservation des publicités peintes suscite un débat. Denis Paquet soutient que la Ville de Montréal et le gouvernement québécois devraient se mettre sur le coup, même si le travail est immense et coûterait cher. Pour l’instant, la Ville fait beaucoup de recherches afin d’encourager la conservation d’un patrimoine résidentiel, mais il n’existe pas de loi protégeant le patrimoine commercial. «On ne peut peut-être pas toutes les sauver, mais il faut vraiment faire quelque chose pour les plus représentatives», conclut Denis Paquet, en souhaitant que les élus comprennent l’importance de cet héritage.

Par ailleurs, ces vielles affiches ont une valeur anthropologique, puisqu’elles donnent beaucoup d’indices sur le passé de notre société. Philippe Lamarre lance une idée originale afin de protéger certaines publicités : «On pourrait faire des sondages sur les réseaux sociaux pour voir quels symboles les gens aimeraient restaurer.»

 

classé sous : Non classé