Matthieu Max-Gessler, La Gazette, Mauricie
Le 21e siècle est l’ère des communications. En tout temps et tout lieu, un clic suffi t à partager nos émotions et impressions du moment. Mais cette efficacité, le nombre de personnes en rupture sociale augmente chaque année, à Montréal comme à La Tuque. Et ceux qui viennent en aide à ces gens n’utilisent pas Facebook ou une boîte courriel, mais la rue.
Chaque soir, les travailleurs de rue sillonnent allées, parcs et ruelles à la recherche des personnes en rupture sociale–souvent, mais pas nécessairement, itinérantes – pour leur apporter soutien et écoute. Une opération délicate, selon Philippe Malchelosse, directeur de l’organisme Point de rue. «Le travail de rue, c’est de la microchirurgie. On travaille avec des gens qui ont des problèmes de santé mentale, de consommation ou qui n’ont pas d’endroit pour rester et qui ont souvent eu des problèmes avec d’autres intervenants. C’est très délicat.»
Comme dans la plupart des organismes communautaires, la relève est un écueil de taille pour les travailleurs de rue. Olivier Huot, 25 ans, unique travailleur de l’organisme Travail de rue à Shawinigan (TràSH) peut en témoigner. «Les conditions ne sont pas évidentes: on travaille de soir et les résultats ne sont pas toujours apparents. Il n’y a personne pour te dire que tu as fait du bon boulot alors il faut avoir confiance en ce que tu fais.» Ces conditions sont encore plus dures à concilier avec la vie de famille. «Tu ne peux pas continuer à rentrer à minuit et te faire appeler en tout temps en élevant un enfant, confirme Olivier. J’en ai un et c’est uniquement grâce aux compromis de ma blonde et de mon employeur que je peux continuer à travailler tout en m’occupant de ma famille.»
UN PERPÉTUEL RECOMMENCEMENT
Le départ d’un travailleur de rue a des conséquences sur les gens qu’il suivait. «C’est un travail à long terme, il faut bâtir un lien de confiance avec les gens, affirme Olivier Huot. Ce lien est dur à établir et très facile à briser. Alors quand un travailleur part, il faut tout recommencer.» De plus, le nouvel arrivant a tout à apprendre: selon Olivier, l’intégration d’un travailleur de rue à son milieu peut prendre d’un an à un an et demi. Et l’apprentissage se fait sans filet, ou presque. Le travailleur détermine les lieux qu’il visitera dans sa soirée et le temps qu’il y passera – tout seul, puisqu’il ne connaît encore personne. Finalement, le manque de ressources financières ne facilite pas les choses. «Normalement, il y a un travailleur de rue par quartier, dit-il. Moi, je dois en couvrir trois et on n’a pas de centre de jour pour accueillir les gens. C’est encore plus long pour intégrer le milieu et gagner la confiance des gens.»
APPRENDRE LA RUE SUR LES BANCS D’ÉCOLE
Philippe Malchelosse a décidé de s’attaquer au problème de la relève en fondant l’Université de la rue. Cette unité de recherche-action de l’Université du Québec à Trois-Rivières offre des cours en travail de rue depuis l’automne 2011, une première au Québec. «C’est un job vu comme un qu’on apprend sur le tas, dit le directeur de Point de rue. Le problème pour les anciens travailleurs de rue, c’est qu’ils ont l’expérience, mais pas de formation reconnue.» Pour l’instant, aucun diplôme ne viendra avec les cours qui seront dispensés. Mais l’équipe de l’Université de la rue compte mettre sur pied un certificat le plus tôt possible.
Olivier Huot salue cette initiative. «Ça augmente la crédibilité du travail de rue… et ça peut amener du financement.» Il apporte toutefois une nuance au tableau. «Ce n’est pas parce que tu suis des cours que tu vas être bon. Ça prend les deux, des cours et de l’expérience sur le terrain.» Une crainte qu’apaise Philippe Malchelosse. «Il y aura deux stages obligatoires– ce qui est extrêmement rare pour un certificat. Et ce sont des stratégies d’enseignement différentes de celles d’un cours conventionnel.
On peut oublier les présentations Powerpoint, ça ne marcherait pas!» Malgré les nids de poule financiers ou familiaux, Olivier Huot compte bien continuer à arpenter les rues de Shawinigan. «J’adore mon travail, je trouve ça trippant, affirme-t-il. Le jour où je changerai de métier, ce sera parce que ce ne sera plus le fun». Et à voir sa bonne humeur contagieuse, ce n’est pas pour demain!