Article original đ°
Scott Stevenson, Le Haut-Saint-François, Cookshire-Eaton, février 2025
Seule, sans emploi et avec neuf enfants Ă la maison, en 1999, Pauline Beaudry apporte une cinquantaine de CV aux employeurs potentiels Ă Sherbrooke. Le dernier est Ă la Maison Saint-Georges, un centre de rĂ©adaptation en dĂ©pendances et santĂ© mentale. Pauline nâa aucune formation dans le domaine, et elle nâaime pas ce quâelle voit en rentrant. Elle dĂ©cide en sortant de ne pas travailler lĂ .
Aucun employeur lâappelle, sauf⊠la Maison Saint-Georges, pour une entrevue. Elle nâa pas le choix, elle accepte de faire lâentrevue, toujours dĂ©cidĂ©e, par contre, Ă ne pas travailler lĂ .
«âŻJe pense que, de toute ma vie, câest lâentrevue que je me suis sentie la plus minable. Dans ma tĂȘte, je ne veux pas ĂȘtre lĂ . Je suis en face de lui, puis il me demande : âConnaissez-vous la santĂ© mentale?â âPas ben, ben.â Tout ce quâil me posait comme questionâŻ: âPas vraiment. Pas ben, ben. Pis, pas vraimentâŠâ Tu sais, la fille qui veut pas la job⊠»
Ăcoutez un extrait de lâentrevue accordĂ©e par Pauline Beaudry
«âŻDeux semaines aprĂšs, il me rappelle. Tâes pas sĂ©rieux! Mais, je nâai toujours pas dâemploi. Il dit : âMme Beaudry, on dirait que vous ne voulez pas la jobâ.âŻÂ»
«âŻJâai dit : âVous ĂȘtes tellement gentil et respectueux, je ne peux pas mentir. La santĂ© mentale, je ne connais pas ça, puis je ne me sens pas Ă lâaise lĂ -dedans. Mais jâai besoin dâune job, vous comprenez le dilemme.ââŻLe directeur rit et dit : âMais jâaime tellement votre personnalitĂ©. Vous ĂȘtes vraiment attachante.ââŻÂ»
Pendant lâentrevue, Ă lâextĂ©rieur du bureau, «âŻil y a eu une crise entretemps; deux usagers. Ăcoute, ça gueulait lâautre bordâŻÂ». Le directeur, RĂ©jean Coates, dit: «âŻAllez-y, Mme Beaudry, câest un test. Allez-y!âŻÂ» pour rĂ©gler le conflit.
Ăvidemment, Pauline a rĂ©ussi, a eu la job; et le reste, câest de lâhistoire⊠Une histoire avec un grand impact dans le Haut-Saint-François.
«âŻRĂ©jean Coates voyait des choses en moi que je ne voyais pas.âŻĂa fait que pour moi, la santĂ© mentale, je ne me verrais pas ailleurs.
«âŻJâavais des tabous. Jâai rĂ©alisĂ© que comme personne, moi-mĂȘme, jâen avais des tabous par rapport Ă la santĂ© mentale. Puis en plus, jâavais peur de ces gens-lĂ . Puis, Ă travailler lĂ , jâai rĂ©alisĂ©, mon Dieu, Ă quel point que, ce nâest pas croyable, sincĂšrement, je nâai jamais vu des personnes avec autant de reconnaissance pour quâest-ce quâon fait pour eux. »
«âŻJâai appris Ă connaĂźtre la santĂ© mentale, premiĂšrement, puis jâai fait la part des choses entre lâĂȘtre, la personne et la maladie de la personne. Et câest lĂ que jâai rĂ©alisĂ© que la personne nâest pas schizophrĂšne, nâest pas bipolaire. Elle est, Pauline Beaudry, et jâai la maladieâŠ, mais je ne suis pas [la maladie].âŻÂ»
Une carriÚre dévouée
Pauline a travaillĂ© de 1999 Ă 2003 Ă la Maison Saint-Georges et a pris un deuxiĂšme emploi, comme intervenante, Ă Virage SantĂ© mentale en 2001. AprĂšs deux ans avec deux emplois et neuf enfants Ă la maison, elle a Ă©tĂ© avertie par son mĂ©decin quâelle devait arrĂȘter de brĂ»ler la chandelle «âŻaux trois boutsâŻÂ».
En 2006, elle a remplacĂ© le directeur de Virage Ă lâĂ©poque, Raymond Beaunoyer, et elle cĂ©lĂ©brera ses 24 ans Ă Virage SantĂ© mentale cette annĂ©e, lors du 40e anniversaire de lâorganisme.
Pauline se dit fiĂšre de lâexpertise quâelle et Virage ont dĂ©veloppĂ© au fils des ans, dans le domaine du deuil en particulier, mais aussi en estime de soi, rĂ©insertion sociale et entendeurs de voix. Virage Ă©tait le premier organisme local dans le Haut-Saint-François Ă offrir des services rĂ©gionaux, de dire Pauline.
Elle est aussi contente de lâeffet de leur travail sur la conscience publique. «âŻQuand je suis arrivĂ©e ici, la santĂ© mentale, câĂ©tait trĂšs, trĂšs, trĂšs tabou. Ăa sâest amĂ©liorĂ©âŻÂ», dit-elle.
Toujours des tabous
«âŻMais câest quand mĂȘme encore un tabou. Pas autant quâavant, mais la santĂ© mentale, on dirait que ça fait peur⊠surtout les problĂšmes plus sĂ©vĂšres. LĂ , il y a beaucoup de prĂ©jugĂ©s.âŻÂ»
Avec ses bureaux Ă Weedon et Ă East Angus, Virage SantĂ© mentale a aussi beaucoup Ă©voluĂ©. Pauline dit quâen 2001, leur budget Ă©tait dâenviron 90âŻ000$, venant seulement du Programme de soutien aux organismes communautaires du Gouvernement du QuĂ©bec, mais aujourdâhui, il est aux alentours du triple de ce montant.
En 2023-2024, Virage a servi 295 personnes différentes, avec 4995 présences à des activités et services, comparé à 50 ou 60 personnes en 2001.
«âŻOn donne plus de servicesâŻÂ», dit-elle. La seule chose qui manque et quâelle aimerait voir naĂźtre est un centre dâhĂ©bergement dans le Haut-Saint-François pour femmes en santĂ© mentale. «âŻJe lâai toujours un peu en tĂȘteâŻÂ», dit-elle.
Et sa retraite?
Vous avez peut-ĂȘtre entendu Pauline parler de retraite. Elle dit que des fois, lâidĂ©e est pour plus tĂŽt que tard, mais lĂ , câest pour «âŻplus tardâŻÂ».
Ce que RĂ©jean Coates a vu en 1999, Pauline Beaudry a commencĂ© Ă comprendre dâelle-mĂȘme rapidement dans son travail en santĂ© mentale.
«âŻQuand jâai quittĂ© la Maison Saint-Georges, ce sont les gens que je cĂŽtoyais au quotidien qui me manquaient le plus. DĂšs la premiĂšre annĂ©e que jâai travaillĂ© Ă la Maison Saint-Georges, mĂȘme pas un an aprĂšs que jâai commencĂ©, je me disais en moi : âTâes donc ben nouille! Comment ça tâas eu peur de venir travailler icitte?â JâĂ©tais comme une autre personne dans mes pensĂ©es.âŻÂ»