Pierre Lalumière, Le Trident, Wotton, décembre 2024
Faire une courte biographie d’un homme aussi généreux et affable était pour moi comme du bonbon. Il a reçu la médaille de l’Assemblée nationale du Québec, le 30 octobre dernier, pour souligner son travail exceptionnel.
Donc l’idée m’est venue de dresser un portrait de ce personnage plus grand que nature, ce qu’il a accepté avec plaisir. Pendant plus de deux heures, il m’a raconté son parcours exceptionnel, particulièrement une période douloureuse de sa vie, soit son accident d’hélicoptère, survenu dans le grand nord, le 27 juillet 1967.
Enfant unique, il est né le 1 er juillet 1937 à Milan, en Italie. Il n’a que deux ans lorsque la 2e guerre mondiale est déclenchée. Son enfance se passe sous les bombardements incessants et les va-et-vient entre son immeuble et les abris anti-bombe, jusqu’à voir disparaître la rue où ils habitaient. Les hostilités terminées, le jeune Francesco poursuit ses études et le voilà, quelques années plus tard, au lycée, dans la région de Milan.
C’est maintenant le temps d’entreprendre ses études supérieures. Il a le choix entre trois disciplines, l’agronomie, la biologie ou les sciences naturelles. Il est conscient qu’en choisissant l’une des deux premières disciplines, ses perspectives d’avenir sont limitées, les débouchés possibles vont soit vers l’enseignement ou un poste au gouvernement, travail qui n’est pas bien rémunéré à cette époque. Alors il choisit les sciences naturelles et débute sa formation de géologue à l’Université de Milan, pour terminer son doctorat à l’Université de Pavia, à une quarantaine de kilomètres plus loin.
Par la suite, il réfléchit à des possibilités de carrière mais il n’envisage pas pour le moment de quitter son Italie natale. C’est lors d’un travail universitaire à Milan qu’il apprend par des collègues qu’il y a possibilité de venir travailler au Canada. On lui dit que les salaires sont meilleurs et que le cadre de vie y est supérieur. En 1965, il se rend donc à l’ambassade du Canada et fait une demande officielle afin d’émigrer en Amérique. Sa demande acceptée, il atterrit le 14 juillet 1966 à l’aéroport de Dorval et trois jours plus tard, il fait son entrée à la Johns-Manville d’Asbestos en tant que géologue de campagne. En1967, il retourne en Italie et marie la belle Franca. Trois garçons naîtront de cette union, Enrico, Diego et Luca. Il s’établit définitivement à Asbestos en novembre de la même année.
Son travail à la mine
Par la suite, il tracera son propre parcours car on lui reconnaît une certaine expertise et en plus il est reconnu être un travailleur infatigable. A la tête d’une équipe de chercheurs, il répertorie durant sa longue carrière à la mine, 99 minéraux dont deux sont exceptionnels et pas connus à l’époque. L’une de ses découvertes lui permettra de voir un minérai nommé en son honneur, soit le spertiniite.
Son accident d’hélicoptère
En 1967, il a été victime d’un grave accident d’hélicoptère qui aurait pu lui causer la mort. Il raconte cet incident avec encore beaucoup d’émotion dans la voix. La Johns-Manville avait un projet d’aller répertorier de l’uranium dans le nord du Québec. La compagnie avait loué un appareil à la toute dernière minute pour une excursion près du lac Pluto Pressé de partir , il a oublié de donner sa position à ses proches, et comble de malheur, l’appareil n’avait pas de système de communication . Alors la tragédie se produisit le dimanche 27 juillet 1967. Le moteur a flanché et l’appareil s’est écrasé en pleine nature sauvage. Sérieusement blessé, ainsi que le pilote de l’hélico, ils étaient dans une fâcheuse position. Personne ne savait où ils se trouvaient et impossible à ce moment de donner leur position. Tant bien que mal, et grâce à son sang-froid et des enseignements prodigués lors de son service militaire, il prit les choses en main en attendant les secours. Jamais il n’a paniqué malgré qu’il n’avait ni nourriture ni eau. Par un heureux hasard, son patron a décidé ce même dimanche de louer un appareil pour se rendre dans ce coin de pays reculé pour s’enquérir et valider le travail accompli par son géologue. Arrivé tard en soirée, il apprend que les deux hommes n’ont donné aucun signe de vie.
Branle-bas de combat, dès le mardi matin, l’alerte est donnée et la mission de recherche est lancée en vue de les retrouver. Deux avions de brousse ont sillonné le ciel pendant plusieurs jours et ce n’est que le vendredi suivant que l’épave a été localisée. Les deux hommes s’étaient partagés un rouleau de bonbon qui se trouvait dans l’appareil pendant ces 5 longues journées. Pour l’eau, ce n’était pas un problème; d’ailleurs M. Spertini savait bien qu’on peut survivre plus d’un mois si on a accès à ce précieux liquide, vu les circonstances. Finalement, un hélicoptère d’Hydro-Québec qui se trouvait dans le secteur s’est posé non loin sur un plan d’eau. Les deux rescapés ont dû, malgré leurs sérieuses blessures, se rendre à la nage, pour rejoindre l’appareil. Conduits d’urgence à l’hôpital, M. Spertini a été soigné pour plusieurs côtes cassées ainsi qu’une grave fracture à la clavicule. Rapatrié à Asbestos, son patron lui donna 1 mois de congé pour soigner ses blessures, plus son salaire, une marque de confiance et de fidélité que le géologue a appréciée. D’ailleurs, sa carrière à la mine dura 32 ans jusqu’à sa retraite en 1989.