Cyndy Wylde. Photographe : Duclos photos.

Surreprésentation carcérale des femmes autochtones : cinq questions à Cyndy Wylde

Claudia Caron, L’Indice bohémien, Abitibi-Témiscamingue,
mai 2024

Dans son essai Émergence insoumise, paru en avril aux Éditions Hannenorak, l’auteure Cyndy Wylde navigue entre anecdotes poignantes et réflexions profondes, invitant le lectorat à une introspection sur les réalités autochtones contemporaines.

De l’anecdote initiale à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) à la force inspirante de ses ancêtres, Cyndy Wylde explore les thèmes du racisme systémique et de la résilience avec une honnêteté brute et un humour subtil. Émergence insoumise est une invitation à la conversation, à l’éducation et à la compréhension mutuelle, ancrées dans la puissance de la parole… et de l’écrit. Entrevue.

Claudia Caron, de L’Indice bohémien (IB) : L’essai s’ouvre sur un de tes souvenirs, alors que tu attends un taxi à Val-d’Or, en soirée. Tu discutes avec le gardien de sécurité. Il t’encourage à aller attendre dehors, mais tu répliques : « Non, mais croyez-vous vraiment que moi, une femme des Premières Nations, je vais aller attendre seule le soir, à Val-d’Or? » Pour toi, c’est une anecdote qui te parle particulièrement?

Cyndy Wylde (CW) : C’est vraiment ce qui a amorcé ma réflexion. Il a été très gentil, le monsieur. Il comprenait et m’a accompagnée dans mon attente… Mais le soir, quand je me suis couchée à l’hôtel, je me suis dit : « Ben voyons, qu’est-ce qui vient de se passer? Ce n’est pas normal que quelqu’un valide ces peurs-là, quelqu’un de non autochtone, en plus. » J’étais vraiment troublée, parce que ça veut dire qu’il y a plein de gens qui comprennent ma peur et qui valident ce qui est dénoncé [dans la Commission Viens, NDLR].

IB : Je perçois dans ton livre deux séries de thèmes. D’un côté : le racisme systémique, le trauma générationnel, les injustices; de l’autre, tu parles de résilience, de force, de fierté et de liens familiaux tissés serrés. Comment réussis-tu à équilibrer ces deux forces opposées?

CW : En fait, l’exercice que j’ai réalisé a été de m’informer quant à mon histoire familiale. Ce qui m’a sauté au visage, c’est la force des femmes qui m’ont précédée. Ma grand-mère, par exemple […] Je sais qu’on lui a arraché ses enfants, je sais qu’elle a connu la colonisation, la sédentarisation, la destruction du territoire, je sais qu’elle a tout connu ça. Pour moi, c’était clair qu’elle, elle représentait la force. Et quand je suis revenue vers ma mère, je me suis dit : « My God, mais elle aussi! » Elle est une survivante de pensionnats… ce n’est pas quelque chose dont elle me parle. Ma mère a très peu de mots par rapport à ça, mais elle a toute mon admiration. Je sais qui elle est aujourd’hui. Je me dis qu’elle, personne n’a réussi à la détruire.

IB : Tu utilises un ton très doux tout au long de ton livre, avec un humour pince-sans-rire. Utilises-tu l’humour pour servir ton propos?

CW : Oui, mais c’est aussi une caractéristique des Premières Nations! Ma famille est très ricaneuse. Quand je pense à mes tantes, je pense aux fous rires en famille. Aujourd’hui, je sais que l’humour est une caractéristique d’un système de défense que mes tantes portaient, elles aussi. Je pense qu’avec l’humour, on peut faire des petits miracles! Les messages passent mieux, la communication est plus fluide. La création de liens devient possible. J’adore l’humour, j’adore rire, mais il y a aussi un sarcasme dans mon ton. Il est là pour illustrer ma colère… Ma colère envers le service correctionnel et la fonction publique. Plusieurs personnes ont essayé de rectifier ce que je dénonce, et ce qu’on est plusieurs à dénoncer. On n’a pas réussi, mais j’espère bien qu’on réussira avec les prochaines générations. C’est important pour moi de montrer que ce n’est pas parce que j’en ris que tout est beau. Il y a une réflexion à faire.

IB : J’ai appris dans Émergence insoumise qu’une femme sur deux incarcérée au Canada est autochtone.

CW : Oui. Ce matin, en m’en allant enseigner, je suis tombée sur un rattrapage de Radio-Canada avec Michèle Audette. Elle parlait du dépôt d’un rapport sur la justice au Manitoba pour les femmes. J’étais scandalisée : elle expliquait que 98 % des jeunes femmes qui sont incarcérées au juvénile sont autochtones. Ça m’a fait un coup de poignard, parce qu’au fédéral, on parle d’une femme sur deux. Dans des pénitenciers en Saskatchewan, on voit une représentativité des femmes autochtones de 70 à 80 % de la population carcérale féminine; et là, on m’amène ce chiffre-là. C’est une porte tournante, les services correctionnels. Quand on rentre, même si c’est au juvénile, il y a de bonnes chances qu’on continue d’emprunter sans cesse la même porte. Pour moi, tout ce qui touche à la surreprésentation carcérale des femmes autochtones, c’est une tragédie nationale. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de monde dehors en train de faire quelque chose.

IB : Comment expliquer cette surreprésentation?

CW : La toile de fond, ce sont les effets de la colonisation qui perdurent. Dans les pénitenciers et les prisons, on reproduit ce que la femme autochtone vit à l’extérieur. Tous les effets de la colonisation, le patriarcat, le racisme, la discrimination, ça revient en couche de fond, une fois dans le pénitencier. Comment ça se traduit? Par une surreprésentation dans les refus de libération conditionnelle, dans les cas d’automutilation… Une majorité des femmes autochtones au fédéral ont un diagnostic de santé mentale, ça me fait peur! Je pense qu’il manque vraiment de services en amont. Si on travaillait en logements, en emplois, en éducation, en aide en société – à faire une place aux femmes autochtones en société –, je pense que leur sort serait différent.

IB : Dans ton livre, tu mentionnes « l’importance du dialogue, de la transmission, et l’impératif de créer des tribunes adéquates ». Tu dis aussi que tu as « eu la chance extrême d’accéder à l’éducation et au pouvoir des mots ». Pour toi, le pouvoir des mots, quelle place a-t-il dans la libération de la parole autochtone?

CW : Je trouve ça extraordinaire. On a toujours été guidés par les transmissions orales, et maintenant, on se permet de laisser nos traces par écrit, et ça se fait de différentes façons. On écrit des chansons, des pièces de théâtre… Le pouvoir des mots est partout. En classe, aujourd’hui, j’ai parlé du génocide à mes étudiants. C’est sûr que comme professeure, j’ai appuyé mes propos avec la littérature, mais juste avant d’en arriver à une conclusion, j’ai fait passer la vidéo de Samian, Génocide. Les étudiants ont réagi. Je voyais bien qu’ils étaient émus. Je me suis dit : « OK, j’ai atteint ce que je voulais. » Il faut y aller avec l’art, avec l’humour, avec la littérature.

Moi, je sais manier un texte. Humblement, je vais voir où ça me mène et j’espère pouvoir faire avancer des choses à ce niveau-là. Ce que je voudrais, c’est d’ouvrir le dialogue. Si les gens ont envie de me jaser, j’ai déjà gagné un point! Mon prochain ouvrage sera un roman, qui est déjà commencé. Je reste dans les thèmes connexes de la surreprésentation carcérale, c’est mon domaine, et je pense que ces réalités ne sont pas assez connues. Ce projet me tient à cœur et ça fait longtemps que ça cogite. Le personnage principal sera une femme!

La chanson Génocide du rappeur algonquin Samian est inspirée par des événements tragiques, notamment le décès de Joyce Echaquan. La chanson et son vidéoclip appellent à la prise de conscience et à l’action contre le racisme systémique et les injustices historiques. Elle se veut une dénonciation de ce que le rappeur désigne comme un « génocide au compte-goutte » des Premières Nations au Canada.