Sébastien Michon, Val-Ouest, Valcourt, février 2024
Le projet d’agrandissement d’une carrière dans une zone agricole préoccupe des citoyens du Canton de Melbourne. Tant et si bien que le conseil municipal, qui avait d’abord accepté le projet, a choisi de surseoir sa décision et de réévaluer le dossier.
Tout commence en août 2023. L’exploitation agricole Les Fermes Coddington inc. soumet une demande à la municipalité du Canton de Melbourne. L’objectif : agrandir une carrière privée de deux hectares (4,9 acres), déjà en exploitation sur la ferme, à une superficie de 9,03 hectares (22,3 acres).
Les propriétaires des Fermes Coddington inc. souhaitent utiliser les matériaux sur d’autres sites qui leur appartiennent ainsi qu’en faire la vente. Ce qui exige une demande pour de l’extraction commerciale. Les exploitants font d’une pierre deux coups : régulariser une situation existante dérogatoire et agrandir l’usage d’extraction sur leur lot.
Le projet présenté prévoit une exploitation d’une durée d’environ 20 ans. À la fin de laquelle le propriétaire s’engage à reboiser les lieux.
Un usage commercial non permis
Actuellement, un tel usage commercial n’est pas permis dans la zone agroforestière AF-2 sur laquelle se trouve la ferme. Par contre, le schéma d’aménagement de la MRC du Val-St-François permet l’usage d’extraction dans l’affectation agroforestière. « Les municipalités ont par la suite le loisir de déterminer si oui ou non elles le permettent dans chacune des zones découlant de la même affectation du territoire », indique Ana Rosa Mariscal, agente aux communications et aux relations publiques à la MRC. Elle précise : « Cette extraction comprend uniquement des substances minérales de surface en terres privées et appartenant aux propriétaires du sol. »
Le Canton de Melbourne compte actuellement sur son territoire deux carrières commerciales en activité. La carrière d’ardoise sur le chemin Saint-François, près des municipalités de Kingsbury et de Saint-François-Xavier-de-Brompton. Et une autre sur le chemin Sims, exploitée par une entreprise de Racine.
Acceptation du projet en octobre 2023
Le conseil municipal s’est donc penché sur la demande pour finalement l’accepter en octobre 2023, par une résolution adoptée à l’unanimité. « Nous jugions que la demande, à ce moment-là, faisait du sens», indique Daniel Enright, conseiller au siège #6 et maire par intérim.
Daniel Enright explique que le conseil avait d’abord accepté la demande parce qu’il s’agissait, de sa compréhension, d’un « usage personnel » de la part du propriétaire. La municipalité y voyait aussi un avantage. « Nous utilisons beaucoup de matériaux pour l’entretien des chemins. Nous trouvions intéressant d’avoir une carrière à proximité », explique-t-il.
Actuellement, les matériaux utilisés pour entretenir les chemins de la municipalité proviennent principalement de deux sources : une carrière située dans le Canton de Melbourne, près de Kingsbury (ardoise) et une autre à Durham-Sud (gravier).
Cette adoption du changement de zonage n’est toutefois pas exécutoire. Il s’agit de la première étape d’un long processus. La deuxième étape est la publication, en novembre, d’un avis public indiquant l’intention de a municipalité de modifier les usages de la zone en autorisant « les usages de gravière, sablière, carrière et activité de première et deuxième transformation des matières premières extraites sur place. »
Copie de l’avis public publié par le Canton de Melbourne en novembre 2023
Importante mobilisation citoyenne
Une mobilisation citoyenne s’organise alors. Une vingtaine de citoyens se présentent à la séance de décembre, à laquelle est présent le maire, James Johnston, et seulement trois élus sur les six que compte habituellement le conseil. À la suite de cette période de questions, le conseiller municipal Sean Boersen propose de retirer l’adoption du projet initialement prévu afin de « prendre le temps d’informer davantage les citoyens ainsi que de voir les conditions et les balises à apporter. »
Par la suite, six citoyens font circuler une pétition qui est signée par environ 70 personnes. Celle-ci est présentée au conseil de janvier. « Nous, citoyens de Melbourne, sommes satisfaits du zonage actuel. Nous considérons que ce zonage est le plus approprié pour conserver la qualité de vie et préserver l’intégrité du territoire agricole. L’agriculture constituant une activité économique majeure dans le Canton de Melbourne », peut-on lire dans le libellé du document remis à ce moment aux élus.
Ces citoyens se questionnent vis-à-vis de ce changement de zonage qui, selon eux, pourrait créer un précédent et empêcher la municipalité de refuser d’autres projets du même type. «Un zonage existe en ce moment pour protéger le territoire. Pour qu’il conserve sa force et son utilité, il ne faut pas l’affaiblir en le morcelant. Il ne sera plus possible pour la municipalité de refuser des projets d’extraction dans cette zone », expriment-ils dans leur communication.
Inquiétudes quant aux passages de camions
Le chemin Coddington, où se situe la carrière, a une inclinaison prononcée. Les camions qui y circulent choisissent généralement de le faire dans un seul sens. Un fait confirmé par Daniel Enright. « Les camions ne peuvent pas aller dans l’autre direction parce qu’il y a une grande côte qui n’est pas praticable pour des camions chargés. » Un itinéraire qui traverse alors deux zones résidentielles.
Cette circulation de véhicules supplémentaires est un enjeu pour ces citoyens. Alors même qu’un certain nombre de camions desservent déjà cette ferme, qui est la plus importante exploitation agricole du Canton de Melbourne.
« Nous avons pu constater ce choix d’itinéraire étant donné que des camions transportant le concassé de la carrière non officielle du chemin Coddington empruntaient déjà les chemins Fraser et Deslandes à haute vitesse au cours de l’été dernier [2023]. Il y a même eu quelques périodes dans l’été où un camion faisait des dizaines d’aller-retour par jour pendant 3-4 jours », mentionne leur document.
Selon ces citoyens, le passage des camions pourrait aussi avoir un impact sur des projets agrotouristiques de la région. Par exemple, un projet de table champêtre situé au coin des chemins Fraser et Deslandes. De même, ils s’inquiètent d’une possible dévaluation des propriétés qui jouxtent ces chemins habituellement paisibles. En effet, il s’agit de fermes et de résidences situées à environ 7 kilomètres de la plus proche agglomération.
L’entreprise Les Fermes Coddington inc. a utilisé, au fil des ans, des matériaux issus de sa carrière privée pour ériger ses bâtiments agricoles sur des terrains en pente. (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)
Pas d’exploitation « à des fins commerciales »
Les citoyens sont fermes sur leur position. Ils ne souhaitent pas que cette zone, et celles avoisinantes, se transforment en « zones industrielles ». « Nous ne sommes pas contre l’utilisation des ressources du territoire pour les besoins personnels des propriétaires, mais nous sommes contre l’exploitation minière et de surface à des fins commerciale en zone habitée. »
Projet mis sur la glace
Où en est rendu le dossier en février 2024? Il est toujours sur la glace. Les élus souhaitent obtenir davantage d’informations avant de prendre leur décision. «C’est quelque chose qu’on pensait relativement simple en octobre. Les citoyens ont amené des points d’alarme. Et nous voulons être certains de faire le tour de la question comme il faut. Nous sommes en train de considérer chacun des points amenés par les citoyens», précise Daniel Enright.
Par exemple, les élus ont voulu connaître la durée de vie de la carrière existante près de Kingsbury. Pour savoir pendant encore combien d’années la municipalité aura accès à des matériaux pour réparer ses chemins. Résultat : cette carrière pourrait fournir du matériel pour encore au moins 10 ans.
Ils veulent aussi évaluer adéquatement le volume de trafic routier que pourrait engendrer cette exploitation.
« C’est un dossier sensible pour l’ensemble des gens. Il faut regarder comme il faut les deux côtés de la médaille. Pour le moment, aucune décision n’est prise. Notre objectif, c’est d’être transparents avec les citoyens. », affirme Daniel Enright, conseiller au siège #6 et maire par intérim du Canton de Melbourne. (photo : municipalité du Canton de Melbourne)
Possibilité de circonscrire les usages
Les élus se demandent si cette ferme pourrait transporter les matériaux extraits sur ses autres propriétés, mais sans en faire une exploitation commerciale. Ils veulent aussi savoir s’il serait possible de permettre l’usage sur cette seule propriété, sans changer les usages pour la zone au complet. «Nous ne sommes pas intéressés à avoir plusieurs carrières », confie le conseiller municipal.
Interrogée par le Val-Ouest sur cette question, la MRC du Val-Saint-François répond qu’il est possible, pour une municipalité, de circonscrire des usages. «En général, le fait d’autoriser un usage dans une zone autorise cet usage dans l’ensemble de la zone. Il existe cependant des mécanismes permettant de limiter. Soit par du contingentement, par une précision de l’usage, etc. », expose Ana Rosa Mariscal.
Ouverture à de l’exploitation minière?
Permettre ce type d’extraction autoriserait-il, par la même occasion, l’exploitation minière? Une conséquence qui n’est pas du tout souhaitée par la municipalité, selon Daniel Enright. « Le fait d’autoriser l’usage « extraction » au zonage de la municipalité ne vient pas permettre (ou non) l’extraction minière», répond la MRC.
Consultation d’experts externes
En plus de consulter des experts externes et la MRC, le conseil municipal a aussi adressé une requête à son Comité consultatif en urbanisme (CCU) sur lequel siège des élus et des citoyens. « Ils en ont discuté et vont nous présenter les résultats de leurs discussions. Nous aurons leurs recommandations sous peu », informe le maire par intérim.
« Aucune décision n’est prise »
Daniel Enright tient à rassurer ses concitoyens et à rappeler la démarche qui est en cours. « C’est un dossier sensible pour l’ensemble des gens. Il faut regarder comme il faut les deux côtés de la médaille. Autant pour le demandeur que pour les citoyens avoisinants. Pour le moment, aucune décision n’est prise. Nous avons demandé d’autres informations pour être en mesure de prendre une décision qui est dans le meilleur intérêt de tous. Notre objectif, c’est d’être transparents avec les citoyens. »