Renaud Pilote, Droit de parole, Québec, mars 2012
Aller au pawn shop est rarement un événement heureux. Si on s’y rend comme vendeur, c’est pour se départir, contre quelques cacahouètes, d’un objet qui nous est soit cher, soit compromettant, soit lourd sur la conscience. En tant qu’acheteur, on sentira que ces guitares, ces chaînes stéréo, ces boucles d’oreilles, en plus d’être usagées, ont perdu leur odeur de sainteté, elles sont comme endeuillées, nostalgiques d’un passé plus radieux. Le pawn shop est un peu le purgatoire de la société de consommation : aucun objet ne souhaite s’y retrouver.
Il n’en demeure pas moins que le pawn shop est un négoce féroce. Des deux côtés du comptoir, on craindra l’entourloupe tout en titillant l’aubaine, on démasquera le toc par l’étude des tics de l’autre et on astiquera son stock d’époque pour pousser sa luck. Vous me direz que tout cela est vieux comme le monde, que ce type d’échange remonte à plus de 3000 ans en Chine et était d’usage dans l’empire romain, n’empêche, l’urgence, elle, appartient encore à l’immédiat. À voir leurs enseignes lancer des SOS, on y plongera sans plus attendre, persuadés d’obtenir à l’instant notre content dans cette mer d’argent comptant.
Dans ce monde cruel où l’on ne peut plus compter sur personne, je lève mon chapeau à tous ces pawn shops s’efforçant de maintenir intacte leur réputation, malgré le fait qu’à toute heure, des magouilleurs s’acharnent à leur passer des sapins en plastique volés. Il leur serait si facile de nous maudire tous autant que nous sommes, avec notre pacotille et nos promesses d’ivrognes, mais non, leur moral tient bon et leur bonheur s’étale : les avez-vous vus suspendre fièrement au plafond leurs vélos de montagne ? Avez-vous remarqué le détachement avec lequel ils laissent tous ces enfants piocher sur la batterie en démonstration ? Les avez-vous entendus nous offrir un emballage-cadeau le jour de Noël ? Moi non plus. J’étais trop occupé à me méfier pour rien. Peut-être, je dis bien peut-être, ne nous octroyons-nous pas assez de moments de détente lorsque nous allons au pawn shop.
Ceci dit, je ne conseille à personne de faire du lèche-vitrine devant les pawn shops. Entrez, c’est de loin plus propre à l’intérieur. Le service est jeune et dynamique, la vente est dépressurisée et il y a une collection pas piquée des vers de CD des années 90. Un de mes amis est allé porter une télé non plasma l’autre jour sur Saint-Joseph. Il s’est fait proposer 5 $. Il ne pouvait pas savoir, le pauvre, que les pawn shops savent très bien, eux, que personne n’en voudra. Oubliez Future Shop, l’avenir est aux pawn shops.